France 2 a parfois le don de s’approprier des œuvres remarquables sur des sujets tabous. Tabous mais qui offrent matière à débat. Ça avait déjà été le cas sur la précarité sociale avec "Box 27". Hier soir, en ce 17 mai 2017, ce fut au tour de "Baisers cachés" pour parler d’un combat qui continue : celui de l’homophobie. Le téléfilm entre rapidement dans le vif du sujet, sans s’embarrasser d’anecdotes inutiles. Nous découvrons le quotidien de Nathan, fraîchement arrivé dans son nouveau lycée en cours d’année scolaire, et vivant seul avec son veuf de père. L’intégration s’annonce sous les meilleurs auspices, puisqu’il est convié à une fête. Puis les choses dérapent, se répandant comme une traînée de poudre par l’intermédiaire d’Internet. Et c’est ainsi que la toile de l’homophobie se tisse très vite autour de ce jeune adolescent et de son père absolument pas préparé à cela. Puis on entre également dans le quotidien d’une autre famille, et on comprend que les destins de ces deux familles par ailleurs très différentes vont vite se relier d'une façon ou d'une autre (ou de près ou de loin si vous préférez). Pour être honnête, tout est convenu d’avance pour peu qu’on connaisse ne serait-ce qu’un peu la psychologie humaine. Jusqu’à la séparation et même jusqu’aux pots de fleurs qui volent ! Contrairement à la plupart du temps, cette prévisibilité est un bienfait et non pas un mal en soi. Pourquoi ? Parce que cela permet à l’œuvre de coller au plus près de la réalité. Du début à la fin. Avec ses 91 minutes, "Baisers cachés" n’est pas bien long. Et pourtant, il semble que tous les aspects liés à l’homophobie ont été traités. A travers le regard de l’adolescent en question, de son père absolument pas préparé à ça malgré son esprit ouvert, d’adolescents qui ne comprennent pas, d’un jeune perdu dans ses incertitudes, de ses parents qui n’acceptent pas cet état, ce sont le déni, l’exclusion, le regard des gens, la tolérance, l’intolérance, les moqueries, les insultes, les brimades, les violences physiques, la peur, la souffrance, le courage, le laxisme de l’éducation nationale, le jugement des uns et des autres, et le choix de vie qui n’est pas un choix qui sont portés à l’écran avec une justesse incroyable. Il n’y a rien de surfait, et chaque comédien apporte sa pierre à l’édifice de la réussite de ce téléfilm à la fois engagé et pédagogique grâce à une interprétation on ne peut plus naturelle, jusque dans les dialogues, notamment chez les lycéens. Que ce soit Nicolas Carpentier (le monsieur BCBG des pubs Renault) en enseignant bienveillant, ou Catherine Jacob qui veut éviter de remuer le passé, ou le proviseur qui ne veut pas entacher la réputation de son établissement, ou Bruno Putzulu qui refuse cette anormalité sous son toit, ou la mère de Louis tiraillée entre son mari et la chair de sa chair, ou Patrick Timsit en père décontenancé mais qui se veut compréhensif parce que protecteur, ou encore Bérenger Anceaux en Nathan qui assume sa nature et Jules Houplain en Louis élevé en mode viril, ils contribuent tous à livrer au spectateur tout un panel de points de vue différents. On peut féliciter Bérenger Anceaux et Jules Houplain pour avoir su relever le défi de jouer un tel rôle, souvent synonyme d’étiquette quand on débute dans le métier d’acteur. Une étiquette souvent difficile à se débarrasser. Beaucoup de mérite revient également à Bruno Putzulu pour avoir su retranscrire ce que beaucoup de parents ressentent quand ils sont confrontés à l’homosexualité de leur(s) enfant(s) : ce n’est pas normal, c’est la honte, et la réputation… je ne vous dis même pas. Quant à Patrick Timsit, il est étonnant dans ce rôle qui l’a durablement marqué. C’était perceptible encore dans le débat qui a suivi la rediffusion de ce téléfilm. De mémoire, jamais je ne l’avais vu aussi concerné, son personnage étant visiblement profondément gêné par la gestion d’une situation qu’il n’attendait pas et à laquelle il n’était fatalement pas préparé. Dans tous les cas, Patrick Timsit a endossé un rôle qui se situe à l’exact opposé de ceux qu’ils nous avaient donné l’habitude de voir. Dans les faits, "Baisers cachés" montre comment l’homosexualité est vue par la plupart des gens, sans toutefois juger, ni condamner. En effet, qui peut prétendre comment on réagira devant l’homosexualité de son propre enfant ? Cependant, le public peut mesurer à quel point l’homophobie peut devenir un calvaire pour celui ou celle qui la subit, jusqu’à lui faire atteindre le point de non-retour, voire à le lui faire franchir. Cela, c’est grâce aussi à un scénario très bien écrit de Jérôme Larcher, formidablement mis en images tout en sobriété par Didier Bivel, portée par une bien jolie photographie et accompagnée par une discrète et néanmoins jolie partition de François-Eudes Chanfrault qui a su venir souligner les moments d’intimité importants. Au final, qu’est-ce que "Baisers cachés" prône, s’il ne porte pas de jugements ou de condamnations ? La question est posée. C’est facile : le dialogue. C'est pour cela que "Baisers cachés" constitue un excellent outil pour engager le dialogue, aussi bien dans les établissements scolaires qu’au sein des familles. Parce que ce téléfilm est une œuvre remarquable, car très complète. Tant et si bien qu'elle a été hackée lors de sa toute première présentation pour être traduite en plusieurs langues à travers le monde, ce qui a été relativement bien vu par la production du fait de la teneur du sujet. Surprenant, hein ? C'est dire l'impact de cette petite production... Il n'empêche qu'elle devrait être éditée en DVD. En attendant, vous pouvez la découvrir encore jusqu’au 23 mai 2017 sur le replay de France 2.