L'intrigue d'Opération Beyrouth est née bien avant que Tony Gilroy ne s'impose comme scénariste de La Mémoire dans la peau, Michael Clayton et Rogue One. En 1991, alors qu'il développait la comédie sentimentale Le Feu sur la glace, Gilroy rencontre le producteur Robert Cort, ancien agent de la CIA. "On a beaucoup parlé géopolitique et Robert pensait qu'un film sur un négociateur issu des services diplomatiques serait fascinant", raconte Gilroy. "À l'époque, Beyrouth était sur toutes les lèvres parce que l'ouvrage de Tom Friedman, 'From Beirut to Jerusalem', venait de sortir. On voulait placer un négociateur dans un contexte historique, qui semble authentique, sans être pour autant une histoire vraie".
Tony Gilroy a nourri sa fiction de faits historiques, comme l'enlèvement du chef du bureau de la CIA, William Buckley, à Beyrouth, en 1984. "Pour moi, c'est le type même d'événement qui m'a inspiré car il permet de savoir ce qui se passe lorsqu'un haut responsable de la CIA est kidnappé", affirme Gilroy. "On a d'ailleurs retrouvé le corps de Buckley au moment où je terminais le scénario et je me suis pas mal inspiré des articles consacrés à cette affaire. C'était à la fois spectaculaire, terrifiant et atroce". En se plongeant dans les recherches, Gilroy a découvert de très nombreux détails dont il s'est servi pour imaginer des événements qui auraient tout à fait pu survenir au Liban trente ans plus tôt.
"Entre mes entretiens téléphoniques avec des témoins de l'époque et la vaste documentation que j'ai réunie, je me suis attaché à cette période de trois mois évoquée dans le film, où Mason revient au Liban", poursuit le scénariste. "J'ai appris beaucoup de faits surprenants. Je ne savais pas du tout que l'OLP était une organisation aussi complexe, hiérarchisée et corrompue. J'ignorais tout de la volonté, très complexe, des Israéliens d'entrer au Liban ou des contorsions déployées par Israël pour justifier son invasion de la région. Je connaissais la présidence de Ronald Reagan, et l'entrée en scène de George Schultz, Oliver North et Robert McFarland, et j'étais au courant des événements qui ont déclenché le bombardement de l'ambassade américaine à Beyrouth. Mais avant de me lancer dans des recherches poussées, je n'en connaissais pas les moindres détails".
Souhaitant donner un second souffle au projet, le producteur Mike Weber a sollicité Brad Anderson pour lui en confier la réalisation. Scénariste et réalisateur de films indépendants, Anderson a fait preuve de sa capacité à distiller le suspense dans des longs métrages portés par des personnages forts, comme The Machinist, avec Christian Bale, et Transsibérian, avec Woody Harrelson. "Brad sait instaurer une vraie tension dramatique et a un formidable sens du rythme", affirme Weber. "Il y avait un tempo d'enfer dans Transsibérian dont on avait besoin pour Opération Beyrouth. Il a su faire ressortir le côté thriller de l'intrigue et rendu l'histoire trépidante". Le réalisateur a été très sensible au milieu exotique dépeint dans le scénario et aux rapports entre les personnages. "J'ai été fasciné par l'univers évoqué dans le film", confie-t-il. "Très franchement, je ne connaissais pas grand-chose sur Beyrouth, si bien que c'est davantage la psychologie des personnages qui m'a intéressé. Le parcours de Mason, être torturé qui tente de se racheter en sauvant son ami, m'a captivé. J'y ai vu tous les ingrédients d'un grand drame classique".
Dans le contexte d'un Liban foncièrement instable sur un plan politique, Tony Gilroy a cherché à bâtir la psychologie de son protagoniste à la manière de John Le Carré, grand maître du roman d'espionnage. "Ses livres sont extraordinaires, même s'ils ne se prêtent pas toujours à une adaptation pour le cinéma car ils sont particulièrement difficiles à condenser", reprend-il. "J'avais très envie d'imaginer un scénario à la Le Carré pouvant tenir en deux heures. Et un personnage comme Mason, confronté à une très grande désillusion, s'inscrit parfaitement dans l'univers de Le Carré".
Après avoir longtemps campé Don Draper dans la série culte Mad Men, Jon Hamm était ravi qu'on lui propose, parmi de nombreuses offres. "Le cinéma n'aborde plus guère les grandes questions politiques", remarque l'acteur. "J'étais heureux de tourner dans un long métrage qui parle d'un sujet important plutôt qu'une adaptation de BD ou un film d'action, qui constituent l'essentiel des grosses productions à l'heure actuelle". Hamm a également été marqué par le protagoniste Mason Skiles, qui a une attitude franche et directe. "C'est un homme de dialogue et non un super-héros", reprend-il. "Il n'est pas du genre à régler tous les problèmes en brandissant une baguette magique, en jetant un sort ou en faisant des trucs qui n'existent pas dans la vraie vie. Habile négociateur, Mason a le don de s'adresser à ses interlocuteurs, non pas de manière malhonnête ou déloyale, mais en leur faisant comprendre qu'il possède quelque chose qui les intéresse, et vice-versa. Du coup, il leur faut trouver un terrain d'entente qui fait qu'ils feront chacun des concessions, mais qu'ils obtiendront tous plus ou moins ce qu'ils veulent".
Après avoir achevé son scénario en 1992, plusieurs comédiens et réalisateurs de premier rang se sont intéressés au projet de Tony Gilroy, qui s'appelait à l'époque High Wire Act. Mais l'évocation, même fictive, des manigances des Américains, des Israéliens et de l'OLP dans le Liban de 1982 s'est avérée un sujet trop sensible. "Le problème, c'est que le scénario était très réaliste", intervient Gilroy. "L'OLP n'avait pas un comportement exemplaire. Israël n'avait pas un comportement exemplaire. Et le Département d'État américain [ministère des Affaires étrangères, NdT] n'avait pas non plus un comportement exemplaire. Aucune des forces en présence n'était épargnée, si ce n'est le protagoniste".
Comme aucun studio ne souhaitait produire Opération Beyrouth, Gilroy est passé à autre chose. Jusqu'en 2003 où Mike Weber, de Radar Pictures, est tombé sur le scénario. "C'est l'un des premiers projets que j'aie lus en arrivant chez Radar", se souvient-il. "Le script était formidable mais je me suis demandé comment monter ce projet, étant donné que toutes les raisons susceptibles de freiner sa mise en oeuvre sont aussi celles qui le rendent aussi passionnant ! Au fil des années, j'ai gardé le nom d'Opération Beyrouth griffonné sur un Post-it collé sur un coin de mon écran d'ordinateur".
C'est après la sortie d'Argo, en 2012, que le projet est devenu économiquement envisageable. Argo, dont l'action est située en 1979, a remporté l'Oscar du meilleur film et généré 232 millions de dollars de recettes mondiales, prouvant qu'un thriller politique se déroulant au Moyen-Orient peut être un succès critique et commercial. Weber a alors ressorti Opération Beyrouth pour le plus grand bonheur de Gilroy.
Pour l'atmosphère, Brad Anderson s'est inspiré de L'Année de tous les dangers (1982) de Peter Weir, situé en Indonésie. "Ce film vous immerge vraiment dans un monde à la fois sensuel et dangereux", souligne-t-il. "C'est aussi le périple émotionnel de personnages dans une région du monde ravagée par la guerre qui tentent de trouver un peu de bienveillance ou d'espoir auquel se raccrocher. C'est aussi ce qu'on voulait évoquer dans Opération Beyrouth. On s'est également inspiré de drames sans résolution comme La Taupe ou L'Espion qui venait du froid se déroulant dans le milieu de l'espionnage".
Pour se préparer au rôle, Rosamund Pike a lu "Liban – nation martyre" de Robert Fisk et s'est documentée sur le traitement réservé aux femmes au sein de la CIA au début des années 80. "C'était un milieu difficile pour les femmes à l'époque", dit-elle. "Il y avait très peu de femmes agents. Je crois qu'il existe 14 échelons au sein de la CIA et que la plupart des femmes ne dépassaient jamais le septième". Étant donné qu'elle est tenue au secret dans le cadre de sa fonction, Sandy Crowder a une vie privée plus que perturbée. "Elle ne peut faire confiance à personne et du coup elle tient les gens à distance", souligne Roasamund Pike. "Et pourtant, dans quelques scènes, on découvre qui se cache vraiment derrière sa carapace. Ce qui m'a plu dans ce rôle, c'est que je n'ai pas eu à séduire qui que ce soit – et c'est très libérateur. Chez elle, ce qui compte, ce sont les actes. Les décisions qu'elle prend sous pression finissent par avoir des conséquences sur le déroulement du récit, et c'est ce que j'ai trouvé exaltant".
L'alchimie palpable entre la comédienne et Jon Hamm a insufflé au film une vraie tension. "C'était un régal de travailler aux côtés de Ros", déclare l'acteur. "Elle débarque, très mystérieuse, dans le deuxième acte, et c'était donc intéressant de creuser la relation entre Mason et Sandy. Il ne la connaît pas vraiment mais il doit lui faire confiance. Mais jusqu'où ? Cette relation correspondait parfaitement à la dimension politique du film et à son côté thriller. Car le spectateur se demande alors comment va finir cette histoire et quelles sont les motivations des personnages".
À l'exception d'une journée de tournage dans le Rhode Island, Opération Beyrouth a été entièrement tourné à Tanger, et dans ses environs, ville du nord-ouest du Maroc, au cours de l'été 2016. "On a choisi Tanger parce qu'il s'agit du lieu idéal pour évoquer Beyrouth", indique Mike Weber. "En effet, la ville n'a pas été prise d'assaut par les promoteurs immobiliers comme tant d'autres coins très modernisés de la région. Quand on s'est retrouvés à Tanger, on a eu l'impression de remonter le temps". Tanger était idéal pour y situer une intrigue censée se dérouler à Beyrouth, notamment en raison d'un épisode étrange de l'histoire récente de la ville. "Tanger a connu un boom immobilier il y a dix ans, entièrement lié à l'argent de la drogue", explique la productrice Monica Levinson.
"Quand le gouvernement s'en est rendu compte, il a immédiatement interrompu les chantiers, si bien qu'il y a énormément d'immeubles à Tanger qui sont à moitié construits. Le gouvernement ne souhaitait pas que ces bâtiments soient squattés et il a donc fait en sorte qu'ils soient pulvérisés à coup de masses et de bulldozers. C'était sidérant de tomber sur cet environnement à Tanger". Étant donné le nombre important de décors naturels, le chef-décorateur Arad Sawat s'est avant tout attaché à trouver des sites existants correspondant à l'intrigue. "On n'a pas eu besoin de créer beaucoup de décors", précise Sawat. "On a beaucoup gagné à tourner à Tanger pour l'atmosphère. L'architecture de ces bâtiments éventrés raconte vraiment l'histoire d'un lieu marqué par des effusions de sang, la religion et la vengeance".
Pour donner à Tanger réalisme et vitalité, Brad Anderson a fait appel au chef-opérateur belge Björn Charpentier. Lauréat du grand prix de Cannes pour son spot publicitaire "Iconic" pour la marque Leica, il a rapidement adhéré aux codes esthétiques, très bruts, du réalisateur. "Brad voulait que l'image d'Opération Beyrouth soit sombre et sale, et surtout pas trop policée comme un film américain, mais plus proche du cinéma européen", indique Charpentier, qui s'est inspiré du filmage à l'épaule de Roger Deakins dans Sicario, modèle du genre en matière de mise en scène au cordeau.
"Brad voulait qu'on tourne tout à l'épaule, et à deux caméras, afin qu'on ne perde rien de l'énergie des acteurs". Le chef-opérateur a rendu hommage à l'époque dépeinte dans le film en équipant ses caméras d'objectifs anciens. "On a choisi de tout tourner avec des lentilles anamorphiques des années 70 et 80 qui ne donnent pas une image trop nette", signale Charpentier. "On obtient un contraste assez doux et une netteté d'image assez douce, elle aussi. Comme ces objectifs ont été fabriqués à l'époque, quand on associe ce type d'images aux magnifiques costumes de Carlos, on a l'impression qu'Opération Beyrouth a été tourné dans les années 70".