Pendant que Jason Voorhees est en stand-by pour des problèmes de droits et que Freddy Krueger panse toujours les plaies de son douloureux remake, leur grand frère Michael Myers, lui, a encore trouvé le moyen de ressusciter pour une nouvelle virée meurtrière à Haddonfield lors de sa soirée fétiche d'Halloween.
Ce n'était d'ailleurs pas gagné d'avance, la saga originelle avait été stoppée net après un lamentable "Halloween-Résurrection" qui ne savait plus quoi raconter et celle initiée par le remake de Rob Zombie portait tellement la patte de son auteur (surtout après un deuxième opus clivant) qu'aucun autre réalisateur ne pouvait passer derrière sans en dénaturer l'approche. Mais il existait une solution miracle afin de ramener le croque-mitaine impassible d'entre les morts : la suite rétroactive !
Ce n'est pas une première pour la franchise, le procédé avait déjà été utilisé par le sympathique néo-slasher "H20" qui zappait les épisodes 4/5/6 pour ne garder en mémoire que les deux premiers films et, ainsi, privilégier un affrontement Michael Myers vs Laurie Strode vingt ans après leur fameuse nuit de folie en 1978. Deux décennies plus tard, rebelote, ce "H40" gomme à nouveau toutes les suites pour mettre encore en scène la revanche du combat entre le tueur et sa victime préférée mais, cette fois, en "oubliant" également le deuxième film. Et c'est une donnée capitale car c'est dans celui-ci que l'on apprenait le lien biologique unissant Laurie et Michael, de fait, les agissements du meurtrier au masque grisâtre lors d'Halloween 1978 (et de 1963) reprennent une part d'ombre plus importante et paraissent encore plus gratuits en l'état.
Évidemment, ce retour aux sources du mythe est aussi et avant tout un habile moyen de contourner quarante ans d'errements d'une saga inégale qui ont banalisé l'aura d'un Michael Myers au point de ne plus savoir quoi lui donner comme chair fraîche à trancher. Alors quoi de mieux que de remettre sur sa route son éternelle souffre-douleur (littérale) pour raviver sa flamme sanglante et de coller au plus près de ses origines en tentant de tutoyer le film de John Carpenter qui a tant marqué les esprits ? Big John himself a d'ailleurs donné son aval à ce nouveau long-métrage made in Blumhouse en le produisant et en en composant la musique, Jamie Lee Curtis a paru toute guillerette de retrouver le rôle qui l'a fait connaître, Nick Castle a renfilé le costume du fameux "The Shape", l'éclectique David Gordon Green (capable de passer d'une grosse comédie débile à un film d'auteur en une ligne de sa filmographie) aidé de son compère Danny McBride à l'écriture a eu aussi l'air tout content de marcher dans les pas de Carpenter, les bandes-annonces nous ont vraiment vendu du rêve... Bref, tous les astres étaient alignés pour un retour en très grande de forme de Michael Myers, même le public américain a répondu présent en en faisant un énorme succès au box-office, et pourtant... on a beau être quelque part content d'assister à ces retrouvailles, au final, il ne subsiste que le sentiment d'un rendez-vous manqué...
Prenant comme prétexte le reportage de deux journalistes quarante ans après les faits, le début de ce "Halloween 2018" sert surtout à nous montrer ce que sont devenus les forces en présence.
Il y a d'abord lui, Michael Myers, cette figure monolithique murée dans son silence et dans son asile de Smith's Grove, démasqué (mais dont la caméra ne révèle que très peu de son visage) et attendant patiemment l'heure de son retour à Haddonfield. La séquence d'ouverture parmi l'environnement de ces fous internés fait incontestablement son petit effet et l'aura de mystère entourant Michael Myers que l'on a tant aimée se recrée presque de manière instantanée comme si ces quarante dernières années ne s'étaient jamais écoulées.
Et il y a elle, Laurie Strode, devenue une grand-mère vivant si recluse dans l'ombre de la tragédie de son adolescence que le lien avec sa fille est désormais rompu, seul celui avec sa petite-fille subsiste mais menace sans cesse de se briser au vu de son instabilité. À l'instar de sa nemesis, elle vit également dans l'attente, dans l'espérance tordue que Michael s'échappe et lui donne l'occasion d'en finir une bonne fois pour toutes avec ce mal qui la ronge. Même si elle nous est a priori présentée comme une figure féminine forte maniant tous les gros calibres possibles, la Laurie Strode que cet "Halloween" 2018 cherche à nous dépeindre est avant tout une femme brisée, à la vie à jamais bloquée sur ces meurtres de 1978 qui l'ont empêché d'avancer, son refuge excessif dans les armes et les pièges en tout genre sont, comme le regard que sa fille porte sur elle, une traduction du fossé de folie au bord duquel elle se trouve et dont elle se rapproche inexorablement. Derrière la façade forte, Jamie Lee Curtis excelle à faire transparaître la fragilité de cette femme écartelée par sa soif d'un ultime affrontement pour enfin pouvoir avancer et une famille qu'elle voit sans cesse s'éloigner, la qualité de son interprétation ne faillira jamais et sera un des plus gros atouts du long-métrage de David Gordon Green.
Logiquement (et vous vous en doutez), les rêves de sang de l'un et de l'autre vont être comblés lorsque ce diable de Michael Myers va prendre la poudre d'escampette le soir d'Halloween 2018. À partir de là, le chemin jusqu'à Haddonfield et le moment où le tueur revêt son masque va être encore jalonné de bons moments (et de quelques cadavres en amuse-bouches) mais un des problèmes principaux du film va surgir et nous étonner vu que l'on n'avait pas du tout envisager : "Halloween" 2018 fait très souvent preuve d'une mollesse impardonnable.
En effet, là où on était en droit de s'attendre à une tension allant crescendo et prête à nous étouffer jusqu'au feu d'artifice de l'affrontement final comme dans le "Halloween" originel, rien, du moins pas grand chose, David Gordon Green insuffle au film un rythme véritablement en dents-de-scie auquel il manque en permanence ce sentiment de percussion pour nous emporter avec lui. Le réalisateur se tire d'ailleurs lui-même une balle dans le pied en éludant la phase habituelle d'observation de Myers avant le passage à l'acte, une partie ô combien nécessaire pour instaurer l'atmosphère d'étrangeté autour du tueur qui renforce sa folie meurtrière à l'écran. Dans le cas présent, une fois Myers en ville, il enfile son masque et hop, débute son carnage avec, certes, un chouette plan-séquence parmi les résidents d'un quartier de Haddonfield mais les meurtres s'enchaînent d'une telle façon mécanique qu'ils ne nous font même pas sourciller (on peut comprendre que le bonhomme est sacrément en manque de couteaux plantés depuis quarante ans mais tout de même...). En plus, David Gordon Green a beau filmer de chouettes mises à mort, on ne ressent jamais la brutalité de leurs impacts à l'écran, on ne réclamait pas de la sauvagerie à la Rob Zombie pour autant, attention, mais, ici, il y a un vrai problème pour traduire visuellement la violence qui habite Myers.
Autre problème qui empêche "Halloween" de réellement nous captiver : ses nouveaux personnages. Les descendantes Strode ne font guère grand chose pour nous passionner entre une mère définie uniquement par son opposition à Laurie et une fille (ainsi que toute sa bande de copains) par ses déboires sentimentaux d'adolescente. Sur ce dernier point, on pourra nous rétorquer que les jeunes du film de 1978 n'étaient pas non plus très épais en terme d'écriture, cela est vrai, mais les canons de 2018 en ce domaine ne sont de toute évidence plus les mêmes, les personnages/potentielles victimes de slasher ont depuis souvent dépassé(e)s en intelligence leurs stéréotypes nés avec le genre. Bien entendu, cette suite veut s'inscrire dans la lignée de son prédécesseur sur de multiples références, seulement, sur ce plan, cela pose un vrai problème pour nous attacher un minimum à tous ces nouveaux venus, sans compter ces temps morts qui s'attardent sur des moments trop futiles de leurs petites existences.
Enfin, il y a justement ce souci de suite référencée, David Gordon Green en fait trop, beaucoup trop... La ligne scénaristique, quelques clins d'oeil de mise en scène et autres easter eggs auraient suffit mais non, Green décalque absolument tous les passages cultes du "Halloween" de Carpenter (le fantôme, la main à travers la porte, le balcon, ... même la petite-fille Strode est assise à la place de sa grand-mère en classe) jusqu'à ce qu'on n'en puisse plus. Tout est très souvent fait à l'inverse des personnages de Laurie et Michael du premier film pour bien nous montrer que les rapports de force sont désormais différents mais à quoi bon en répéter autant ?...
Bon, cet "Halloween" 2018 tente tout de même quelques nouvelles choses, soyons honnêtes, comme, par exemple, ce twist pas si bête sur un personnage qui renvoie forcément à son équivalent du film originel. On pourrait y voir une sorte de doppelganger à ce qu'aurait pu devenir ce dernier s'il avait suivi le même chemin, perdu dans les ténèbres que représente Michael Myers. Hélas, là où il y aurait pu avoir un chouette effet de miroir sujet à réflexion, encore une fois : rien. Ce rebondissement s'avère aussi inutile que sous-exploité (voire stupide) et ne sert en gros qu'à précipiter l'affrontement final...
D'ailleurs, quant à parler de ce dernier acte... On l'attendait au tournant ce climax, lui-même seul raison de vivre de ces deux protagonistes principaux, et voir le clan Strode faire face aux assauts de Michael Myers était à lui tout seul l'argument de vente le plus alléchant du film. Eh bien, vous risquez de tomber de haut, le suspense est bien entendu plus présent que dans tout le reste mais, hormis le fait de voir enfin les (quelques) pièges amusants de la maison de Laurie en fonction pour tenir tête au tueur, rien de transcendant à signaler... à part si un trop grand stock de mannequins vous effraie terriblement (la scène avec la petite-fille parmi eux est... comment dire... gênante ?). Pire, quand le duel se pare enfin d'un peu de folie et que l'on se met à y croire vraiment.... rideau, cela se termine avec une fin expédiée à la vitesse de l'éclair, nous laissant ruminer toute notre frustration pendant le générique de fin.
On nous avait promis un tel choc des titans entre Laurie Strode et Michael Myers quarante ans après leur premier tango tâché de sang que le goût amer de la déception ne peut que se faire sentir. Ça n'enlève rien aux quelques qualités du film et à la prestation d'une Jamie Lee Curtis parfaite de bout en bout qui nous font avaler la pillule mais, bon sang, nos espérances étaient si grandes face à un résultat si maigre.