Poignant. Si vous n’êtes pas rebutés par l’idée de voir un film de plus sur le nazisme et quelques-unes de ses pires exactions, alors vous pouvez y aller. D’autant plus que "HHhH" n’est pas un film sur le nazisme comme les autres, car il se focalise principalement sur la destinée de Reinhard Heydrich et de ceux qui ont gravité autour, qu’ils soient sympathisants ou ennemis. A vrai dire, je vous conseille vivement d’aller le voir de toute manière, car le spectateur va être secoué par le fait que les S.S. ne respectaient rien : ni les êtres humains, ni la religion. Autrement dit, ni Dieu... ni sa création. En cela, le spectateur n’apprendra rien car il le savait déjà : nul n’ignore cet épisode noir qui est aujourd’hui le plus grand crime contre l’humanité du monde moderne. Mais de le voir mis en images, ça ne laisse jamais indifférent. A plus forte raison lorsque la mise en scène est maîtrisée, dopée par un réel sens du cadrage, une interprétation sans faille de tous les acteurs, et une B.O. sublime. Je vais revenir sur chacun de ces points les uns après les autres, que je viens de jeter un peu en vrac. Chers lecteurs, chères lectrices, je pense que vous comprendrez aisément que c’est encore sous l’emprise de l’émotion que j’écris cet avis. "HHhH" ne bénéficiant pas d’une promo tapageuse, je n’en attendais pas grand-chose. La claque cinématographique n’en a été que plus monumentale ! Car ce film est d’une forte puissance. Irrésistible comme l’Allemagne l’était lorsqu’elle a envahi l’Europe, il emportera le spectateur à coup sûr. Et ça commence dès les premiers instants, durant lesquels s’élèvent doucement les premières notes musicales venues accompagner une succession de courts plans, alors qu’on entend monter crescendo la voix du Führer. De quoi vous faire vivre le premier frisson à vous en faire hérisser le poil. Le ton est donné et on sait désormais que "HHhH" s’annonce sous les meilleurs auspices pour nous faire vivre un grand moment de cinéma. Bien que non sous-titrée, cette allocution prend toute sa dimension, alors que l’image comporte un grain qui apporte un certain charme vintage et qui, de ce fait, n’a aucun mal à transporter le spectateur en 1942, plus précisément le 27 mai. Et assurément, même si on se promène beaucoup dans le temps par l’intermédiaire de retours en arrière, la reconstitution des costumes, décors et véhicules nous font rester sans aucun mal dans cette première moitié du XXème siècle. Au gré du parcours de celui qui a été surnommé le Boucher de Prague, le spectateur va passer par divers états d’âme. Cela va du sourire (quand on entend la valse alors que deux êtres sont en train de copuler ardemment) au profond dégoût suscité par les massacres. C’est d’ailleurs à propos de ces scènes que l’avertissement est donné au jeune public. Car ce n’est pas tant l’horreur de la guerre qui est montrée : on ne voit qu’assez peu de sang et encore moins de mutilations. Mais quand la froideur, l’indifférence (qu’on peut aussi qualifier de totale absence de morale) et la conviction d’une cause (si on peut appeler ça une cause) font face à la résignation, à la peur et aux pleurs de toute une population opprimée, excusez-moi mais ça soulève le cœur pour vous bouleverser jusqu’au plus profond de votre être. Alors que dire de la scène avec le gosse ? Elle est tout bonnement insoutenable ! Ce gamin est littéralement extraordinaire, à moins qu’il n’ait été vraiment poussé dans ses retranchements pour rendre la scène la plus crédible possible. Aussi soit on le reverra s’il a vraiment fait parler son talent, soit dans le cas contraire il restera trop marqué pour poursuivre sa jeune carrière, du moins dans un premier temps. En tout état de cause, il emporte ma mention spéciale. Quant à Jason Clarke, il est tout simplement stratosphérique dans la peau d’Heydrich ! Sa prestance d’une rigidité extrême, son visage empreint de malsanité collent parfaitement à la psychologie de son personnage. Nous le voyons évoluer, et pas en bien au fur et à mesure de ses affectations. Je pourrai parler de chacun des artistes, mais ce serait bien trop long. Ce que je peux dire en revanche, c’est qu’ils sont tous au même niveau, tous au diapason autour d’un sujet qui fait encore mal aujourd’hui, plus de soixante-dix ans après. Oui tous, de Rosamund Pike dans le rôle de Lina (pour qui le spectateur aura presque de la peine) à Gilles Lellouche (Vaclav Moravek), en passant bien entendu par Jack O’Connell (Jan Kubis) et Jack Reynor (Jozef Gabcik), ces deux personnages envers lesquels le spectateur ressentira peu à peu une certaine forme d’empathie. Quant à la réalisation, elle est dynamique et bien rythmée sans jamais véritablement connaître de temps morts, ou plutôt de longueurs (désolé, je peine à trouver mes mots). Malgré la gravité du sujet, ça ne tombe jamais dans le pathos. Le réalisateur Cédric Jimenez a fait de "HHhH" une œuvre éminemment humaine, sans quoi son long métrage ne susciterait pas autant d’émotions. Il a même réussi à rendre "l’homme au cœur de fer" humain avec son penchant pour le sexe et son statut de père, sans toutefois l’humaniser. Une performance ! Et quand on voit le résultat, non seulement il sait diriger les acteurs, mais en prime il sait manier la caméra. Certains plans sont sublimes : passage du résistant qui part à vélo à sa dulcinée qui le regarde s’éloigner depuis sa fenêtre ; ou le mouvement de caméra qui finit à ras du sol pour montrer le tapis de douilles… Alors que la croix gammée est un symbole qui fait peur, il est parvenu à rendre les couleurs de l’Allemagne nazie belles par un splendide coucher de soleil ! Je pourrai en citer encore beaucoup comme ça, mais est-ce bien utile ? Le spectateur notera par contre qu’un bon nombre de séquences ont été tournées à l’épaule, avec par moments une succession rapide de petits plans, le tout reflétant à merveille le chaos du moment, lequel engendre la précipitation pour répondre à l’urgence de la situation (poursuite dans la rue, visite des appartements…). Le risque est bien évidemment de rendre les scènes illisibles, mais ce n’est pas le cas. Mais au fait… j’en suis venu à parler de scènes d’action, mais… n’étions-nous pas censés voir un biopic ? Oui eh bien l’air de rien, Cédric Jimenez détourne le spectateur sans même qu’il s’en aperçoive du chemin qu’il pensait emprunter en se rendant devant le grand écran. C’est pour les immenses qualités techniques qu’il a montré que je donne volontiers aussi ma mention spéciale au cinéaste français. Et c’est bien grâce à sa maestria, mais aussi à celle des acteurs qu’il est parvenu à ce tour de force, à se démarquer un peu du biopic sans toutefois s’en détacher. Ainsi le spectateur a droit à de superbes moments de tension, dont l’apogée arrivera lors de la montée crescendo de la musique de Guillaume Roussel qui a eu la bonne idée à CE moment-là de reprendre l’entêtant tic-tac d’une pendule comme rythme et thème de base. Oui, la partition est remarquable, et même si elle sert énormément de support, elle ne subit jamais de faiblesses. Elle vient même meubler avantageusement des séquences sans dialogues, rendant ainsi le consortium mise en scène/musique/images particulièrement éloquent. Je donne donc ma dernière mention spéciale au compositeur, lui aussi français. Après, j’ignore si l’adaptation cinématographique est respectueuse du roman de Laurent Binet, et/ou si elle est conforme aux faits historiques. Dans les grandes lignes, c’est sûr car on ne peut réécrire l’Histoire. Mais au fond… est-ce si important quand on a une œuvre maîtrisée de la sorte, qui nous fait vivre des émotions durant deux heures au point de les rendre bien courtes ? En tout cas, moi, ça ne me donne pas envie de creuser davantage, préférant rester sous le choc de ce film… qui en marquera plus d’un. Et j’en ai eu suffisamment pour mon compte pour pardonner volontiers le fait que tout le monde parle la même langue sans accent apparent, bien qu’on aurait gagné encore en crédibilité si les langues locales avaient été utilisées.