Adapter le livre éponyme de Laurent Binet est un sacré défi. C’est un défi parce que le livre est tout sauf une biographie ou un essai historique standard, « HHhH » est un livre au croisement de trois genre : le roman, la biographie et l’essai historique. Jimenez a une première bonne idée, c’est celle de garder le titre génialement intrigant du livre. « HHhh » signifie en allemand : "Himmlers Hirn heißt Heydrich" (Le cerveau d'Himmler s’appelle Heydrich), ce qui veut tout dire du bonhomme ! Il garde aussi du roman sa construction chronologiquement éclatée et c’est la deuxième bonne idée. Le film se décompose en trois partie, l’ascension d’Heydrich jusqu’à l’attentat, puis retour en arrière avec la longue préparation dudit attentant par Kubis et Gabcik, puis les conséquences terribles de l’attentat, pour eux même, pour leurs complice, et pour le petit village de Lidice. Jimenez démontre pas mal de choses intéressantes dans « HHhH » en tant que réalisateur : de jolis plans, une musique très intéressante (quoiqu’un peu trop présente dans les scènes de fin où il n’était pas nécessaire d’en rajouter), une reconstitution soignée, un montage original et un rythme soutenu, surtout au début du film. Dans sa première partie (à mes yeux la plus intéressante), impossible de s’ennuyer une seconde devant l’ascension implacable de Reinhard Heydrich, au contraire, on se surprend à trouver que Jimenez va trop vite, on aimerait en savoir plus sur son rôle dans les Pays Baltes, dans ses rapports avec Himmler, on aimerait que son rôle dans la conférence de Wannsee soit plus mieux exposé. C’est un peu frustrant mais c’est oublier un peu vite que la bio de Heydrich n’est pas le sujet central du film. Le sujet du film, c’est l’attentat de Prague, le premier (et le seul) attentat organisé par des Résistants pour assassiner un des plus hauts dignitaires nazis. L’attentat en lui-même est filmé de façon plus soutenu que dans mon souvenir du livre où il dure sur des pages et des pages. En fait, Jimenez, et c’est surement ce que beaucoup vont lui reprocher, fait de « HHhH » un film de guerre plutôt « grand public » avec tout ce que cela comporte comme emphase (la musique, les ralentis), comme raccourcis historiques
(le coup du dossier remis à Himmler à l’hôpital)
, comme coupes claires, comme scènes un peu trop vues et revues. Il faut prendre son film pour ce qu’il est, un film qui met l’Histoire avec un grand H à hauteur d’amateur de cinéma. Moi aussi j’ai trouvé qu’à quelques reprises il en faisait un poil trop, que ça sentait un peu de temps en temps le « cinoche », mais est si grave ? Le film dure deux heures, même s’il tire un peu en longueur sur la fin, il rend justice au sacrifice de Kubis et Gabcik en lui donnant une visibilité, une sorte de reconnaissance tardive. Alors, peu importe au fond qu’elle soit un peu trop « hollywoodienne » parfois, si ça peut donner envie au spectateur d’en savoir plus et lui apprendre qui était Heydrich et qui étaient Kubis et Gabcik, c’est quand même le principal ! C’est à l’acteur américain Jason Clarke qu’il offre le rôle du Boucher de Prague. Je me demande comment, quand on est acteur, on aborde un rôle comme celui-là ? Clarke met toute la froideur et toute la dureté dont il est capable dans son interprétation, et à plusieurs reprises il fait franchement peur : regard vide, absence totale de sourire, physique aryen travaillé jusqu’à la caricature, il compose un Heydrich qui glace le sang. Rosamund Pike, qui donne corps à sa femme Lina, est dans le même registre. Ils forment un couple diabolique, et je me demande si, en tous cas au début, elle n’est pas encore pire que lui, tant elle semble complètement dénuée d’affect ! Jack O’Connell et Jack Reynor, respectivement Jan Kubis et Jozef Gabcik, semblent en revanche incarnés avec moins de profondeur, comme écrasé par le rôle tenu par Clarke. C’est aussi un petit reproche qu’on peut faire à Jimenez, les deux résistants n’ont pas les honneurs dus à leur rang, on ne sait rien d’eux alors qu’on en sait beaucoup sur leur « victime », et je ne pense pas que ce soit les deux acteurs qui soient en cause, c’est juste un déséquilibre dans le scénario. Le scénario, donc, très fidèle au livre de Laurent Binet, montre longuement qui était Heydrich, et tente d’expliquer
(par ses déboires dans la Marine notamment)
comment il en est venu à être qui il était. C’est moyennement convaincant, il semble plutôt que Heydrich soit né à l’époque qu’il fallait et ai fait les rencontres qu’il fallait pour devenir un immonde salaud, parfois il n’est pas utile ou pertinent de chercher ailleurs ! Le film de Cédric Jimenez, assez dur par moment (scènes de massacre, scène de tortures) n’édulcore pas ce que fut l’occupation de la Bohême-Moravie et la répression inouïe qui devait suivre l’attentat. Est-ce que Heydrich est mort dans l’attentat ? Si on connait l’histoire on le sait. Que sont devenus les deux héros ? Si on connait l’histoire on le sait aussi, mais arrivé aux deux-tiers du film,
on comprend qu’il n’y a pas vraiment d’issue heureuse à une mission comme la leur.
L’attentat de Prague, et peut-être que le film ne le souligne pas suffisamment, est un tournant dans la Guerre pour tous les Résistants des pays occupés par l’Allemagne, un coup d’éclat qui se révèlera bien plus qu’un simple coup d’éclat. Si Stalingrad est un tournant militaire, l’attentat de Kubic et Gabcik est un tournant civil, qui a prouvé au monde entier que oui, on peut atteindre le Mal en visant la tête. Plus rien ne sera pareil pour le Reich après Prague, cela méritait bien un livre, cela méritait bien un film. Peu importe ses petits défauts, ses petits raccourcis, « HHhH » doit être vu pour ce qu’il est : un hommage au courage et à la Résistance.