Bien que le film suive les mouvements révolutionnaires ayant agité la place Tahrir, localisée au Caire, c'est au sein de la ville de Louxor, à 700 kilomètres de la capitale, qu'Anna Roussillon a focalisé son regard. Dans cette campagne se trouve Farraj et sa famille, que la réalisatrice a rencontré au détour d'un champ, alors qu'elle réfléchissait à un autre projet cinématographique consacré au tourisme. Au fil des retrouvailles successives, la française et l'égyptien deviennent amis, si bien qu'au moment de la révolution ayant agité l'Egypte, la réalisatrice choisit le regard du paysan pour raconter l'histoire en cours du pays.
Avant même d'embrasser le regard d'un égyptien sur l'agitation qui règne en son pays, Anna Roussillon voulut d'abord capturer le fil d'une conversation, d'un échange qui s'est étalé pour les besoins du film entre janvier 2011 et l'été 2013. Un dialogue qui contient autant une forme d'entente que des instants conflictuels, Roussillon expliquant avoir vécu la révolution avec enthousiasme lorsque son ami Farraj affichait nettement plus de scepticisme, allant jusqu'à évoquer des théories du complot.
Lorsque le 25 janvier 2011, le Caire est marqué par un soulèvement humain décisif pour la révolution égyptienne en marche, c'est le monde entier qui prend conscience, via les réseaux sociaux, d'un changement majeur pour le pays. Anna Roussillon est à Paris lorsque cet évènement d'ampleur se produit et c'est via Skype que la réalisatrice et son ami Farraj discutent de la situation en cours. Cette conversation a été finalement intégrée au film.
En établissant un échange et en le radiographant au travers d'un documentaire, Anna Roussillon voulut aussi faire apparaitre la reconfiguration permanente de notre rapport à la politique et du long cheminement qui conduit à adopter une posture révolutionnaire. Pour cela, elle choisit de porter son regard non pas sur un jeune révolutionnaire mais sur un paysan et ami, ayant grandi sous un régime marqué par les traditions.
Le titre, Je suis un peuple, n'est pas issu de l'imagination de la réalisatrice. Il est tiré d'une chanson d'Oum Kaltoum sorti en 1964 et qui vantait les mérites d'un nationalisme hérité de l'ancien régime. C'est précisément parce que le film prend place lors du renversement de ce dit régime que ce titre fut choisi, laissant au spectateur la possibilité de choisir le peuple qu'il souhaite défendre. Il est à noter que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, le "Je suis" ne fait pas écho volontairement au Charlie issu du 07 janvier 2015, le film ayant été terminé aux alentours d'octobre 2014.
Anna Roussillon n'est pas étrangère à l'Egypte, pays dans lequel elle a grandi, au sein de la ville du Caire. C'est ce lien qui l'aura pour partie poussé à consacrer du temps à la révolution égyptienne, même éloignée de son centre actif (au Caire), où elle avait pensé initialement partir pour filmer en direct.
Anna Roussillon souhaitait dès le départ rendre compte du décalage d'une ébullition révolutionnaire (concentrée dans la ville du Caire) avec le quotidien organisé de la campagne, où Farraj travaille sans discontinuer. Cette dichotomie fut particulièrement épineuse à inventer au montage, les chamboulements politiques évoluant sans cesse entre 2011 et 2015, date de sortie du film. Malgré tout, la cinéaste à travailler à concilier son regard intimiste et à expliciter la politique égyptienne pour tous les publics.
Je suis le peuple a été compétiteur, entre autres, au sein de l'ACID, sélection indépendante du festival de Cannes, ainsi qu'au festival international de Rotterdam. Il fut plus heureux encore au festival Entrevues Belfort 2014 où il a remporté le Grand prix du jury et le prix du public. Le festival international de Honk-Kong lui a de son côté réservé le prix du meilleur documentaire. Au total, le documentaire a fait partie de plus de 50 sélections à travers le monde et a décroché presque 20 récompenses.
Je suis le peuple est soutenu par la société de distribution Docks 66, dont la mission est de laisser la parole aux cinéastes et de les soutenir sur la plus longue durée possible. Pour cela, l'équipe du film fait appel au financement participatif, via la plateforme Kiss Kiss Bank Bank, afin de récolter des fonds pour élargir la diffusion. Parmi les promesses de cette quête, il y a l'idée de prolonger le dialogue entre le public et Farraj, qui suivrait la réalisatrice sur la tournée.