Bien que le film se déroule sous l’ère Ben Ali (qui a été président de jusqu'à début janvier 2011), l’écriture et le tournage se sont faits bien après son départ. La jeune cinéaste tunisienne Leyla Bouzid explique comment elle a travaillé sur ce projet au gré des moments historiques et cruciaux traversés par son pays :
"Quand la révolution a eu lieu, il y a eu une grande volonté de la filmer et de la représenter. De nombreux documentaires ont été réalisés à ce moment là, tous remplis d’espoir, tournés vers l’avenir. J’ai eu, moi aussi, cette envie forte de filmer. Mais filmer ce qu’on avait vécu et subi : le quotidien étouffant, les pleins pouvoirs de la police, la surveillance, la peur et la paranoïa des Tunisiens depuis 23 ans. La révolution (ou révoltes, les points de vue divergent) surprenait le monde entier mais elle ne venait pas de nulle part. On ne pouvait pas, d’un coup, balayer des décennies de dictature et se tourner vers l’avenir sans revenir sur le passé. C’était une évidence pour moi qu’il fallait aborder le passé rapidement, tant que le vent de liberté soufflait encore. Comme la plupart des Tunisiens, mon euphorie était forte au début, puis les phases d’enchantements et de désenchantements n’ont fait que se succéder."
Leyla Bouzid ne voulait pas que les évènements liés à l'actualité influencent son travail. Ce sont davantage les différents parcours émotionnels des personnages qui ont été placés au centre de A peine j'ouvre les yeux.
Leyla Bouzid a cherché à rendre compte via son film de la peur que les Tunisiens ressentaient sous l’ère Ben Ali (qui n'est plus président depuis début 2011). Mais, pendant le tournage, la cinéaste a remarqué que beaucoup de personnes avaient presque oublié ce que voulait dire vivre sous Ben Ali, à savoir la peur et la paranoïa...
La réalisatrice Leyla Bouzid avait envie de filmer une jeunesse tunisienne bouillonnante et créative, qui fait de la musique et se bat pour son quotidien. La religion n'est ainsi pas au centre de la vie des personnages de A peine j'ouvre les yeux. La cinéaste voulait parler de ce type de jeunes qui sont, selon elle, oubliés des médias : "Les seuls qui ont un droit de parole dans les médias sont ceux qui se replient dans l’extrémisme et la violence. Il me semble important de dire qu’il y a aussi une autre jeunesse portée par la vie, lui donner une voix à travers Farah, montrer qu’elle est muselée par une terreur qui émane du système. Il y a d’autres formes de terreur que le terrorisme."
A peine j'ouvre les yeux pose la question des conséquences qu'il y a lorsque l'on cherche, en Tunisie, à se défaire de la famille, de la société et du système. Cette problématique s'illustre pleinement dans le parcours du personnage de Farah qui a une soif de vivre envers et contre tous et qui pour cela se heurte à des obstacles et des punitions. "Je crois qu’en Tunisie on paye tous un prix, qu’on soit artiste ou pas. Et ce, à un moment ou un autre de son parcours, au niveau intime, familial, social, scolaire. Dans la société tunisienne, soit on fait des concessions, soit on se heurte à quantité d’obstacles", explique Leyla Bouzid.
L’histoire du film n’est pas autobiographique mais il y a quelques situations que Leyla Bouzid a connues, comme par exemple celle de découvrir qu’un ami proche était en fait un indic de la police...
L’héroïne du film est campée par Baya Medhaffar qui effectue pour l'occasion sa première expérience dans un long métrage. Leyla Bouzid se souvient à quel point la jeune comédienne ressemble à son personnage de jeune femme cherchant à vivre sa vie : "Pour le rôle de Farah, il fallait une jeune fille de 18 ans, très libre, prête et capable d’incarner ce rôle qui nécessitait de chanter et de jouer. C’est un rôle difficile pour quelqu’un de novice. J’ai fait un casting très long ; pendant plus d’un an, j’ai rencontré énormément de filles, certaines à de nombreuses reprises. Baya s’est présentée assez tôt mais je n’étais pas sûre, j’ai énormément douté. Le choix était difficile et on peut dire que Baya s’est vraiment battue pour arracher le rôle. Elle le voulait absolument, elle adorait le personnage et n’avait aucun souci de censure ou d’interdit. Elle est d’ailleurs, plus libre encore que Farah, plus explosive. C’est une fille qui a une liberté exceptionnelle. C’était très précieux pour incarner le rôle et c’est ce qui m’a convaincue."
Le film fait la part belle aux bas-fonds de la ville de Tunis : sa vie nocturne, ses bars, etc. Pendant le tournage, la scène où Hayet rentre dans le bar a été délicate puisqu'elle a été tournée dans un vrai bar mal famé où les hommes dévisageaient les femmes de l'équipe...
Composée par l’Irakien Khyam Allami, la musique du film est primordiale puisqu'elle se devait, comme dans la réalité, de traduire un exutoire ainsi qu'une certaine forme de résistance pour les Tunisiens. Leyla Bouzid se rappelle comment elle a rencontré Khyam Allami : "J’ai rencontré énormément de musiciens, mais on ne parvenait pas à s’entendre. Et puis un jour, par hasard, j’ai été à un concert à Paris et j’y ai découvert un groupe dont la musique m’a transportée : « Alif Ensemble ». Khyam était l’un des cinq musiciens, issus de différents pays arabes (Liban, Egypte, Palestine, Irak). Et puis son énergie, sa formation, ressemblait à ce que je voulais. (Leur premier album est sorti le 4 septembre 2015.) Puis, j’ai découvert que le luthier du groupe était Irakien et avait vécu les trois dernières années en Tunisie, il parlait le tunisien, connaissait les lieux où je voulais tourner, les dessous de la vie des jeunes, Baya... Après cela, tout est allé très vite et très simplement."
Après Venise, Namur, Bastia, St Jean de Luz, Tubingen, Bordeaux, le film a été présenté aux Journées Cinémathographiques de Carthage à Tunis devant une salle comble de 1800 personnes. Découvrez ci-dessous la liste des récompenses :