Hokusai (1760 – 1849) était un peintre connu et respecté au Japon qui vécu à Edo (l’ancienne Tokyo) et qui créa de très nombreux dessins, allant de « moineaux sur des grains de riz » aux peintures de 30 mètres de long en passant par la fameuse « Grande Vague de Kanagawa« .
Un artiste réputé qui n’est toutefois pas le centre d’intérêt de ce long-métrage; comme son nom l’indique, MISS HOKUSAI nous parle de la fille du peintre (O-Ei de son prénom/surnom) vivant forcément dans l’ombre de son père mais en fin de compte, tout aussi talentueuse.
Il y a dans MISS HOKUSAI une volonté de « dépeindre » une époque singulière et lointaine comme celle de l’ère d’Edo, en retranscrivant au mieux ce qui y était la vie quotidienne. Pour cela, Keiichi Hara compose chaque photogramme avec un souci maniaque du détail, rendant le quartier et ses divers lieux – marché, bordel, ou encore le fameux pont communautaire, tous très vivants.
Paradoxalement, il y a une opposition entre la précision de cet environnement et la caractérisation des personnages – hormis O-Ei. Celle-ci est, très étrangement, éloignée de l’aseptisation générale de l’animation japonaise, d’ailleurs observable chez la plupart des autres protagonistes du film (le lover, l’obsédé, la jeune ingénue, le mentor, etc. clichés de mangas)
O-Ei possède quant à elle ce physique distinctif qui la rend immédiatement unique: sourcils épais, traits durs, soucieux, et angoissés… Ces traits lui donnent un caractère très marqué, mais avant tout visuel, peu émotionnel; la personnalité d’O-Ei n’est jamais présentée par le dialogue ou les situations contextuelles mais plutôt, très progressivement, par les interactions qu’elle entretient avec les autres.
Ces « autres » sont bien sur les différents protagonistes (son père Tetsuzo, ses « amis », sa jeune sœur aveugle…), mais également l’aura de son père – qui est très distincte du personnage, et enfin l’art du dessin.
Si les interactions avec les deux premiers restent fonctionnels dans un premiers temps, la compréhension et la maîtrise du processus créatif est ce qui sort véritablement MISS HOKUSAI de son manque d’empathie. Peindre est ainsi représenté comme un combat mené contre des forces surnaturelles, divines, obscures, psychologiques, intérieures ou même élémentales; comprendre ces forces, c’est maîtriser cet art. Hors, cela demande un certain abandon dans l’immatériel et l’inconnu, une certaine confiance en soi… Et une certaine expérience du réel ! Keiichi Hara illustre ces véritables épreuves avec maestria, en mélangeant plusieurs styles d’animation (un peu comme dans le dernier Takahata) pour un résultat impressionnant, à la fois onirique et visuellement puissant.
C’est donc dans ces moments ou O-Ei cherche à maîtriser un dessin particulier que l’on apprend véritablement à la connaître.
Par extension, ce gain d’expérience très progressif donne plus de consistance à ses interactions avec les autres protagonistes; O-Ei apprend à découvrir ces subtilités qui façonnent l’être humain sous les apparences. Parallèlement, les personnages que nous pensions très caractérisés deviennent de plus en plus profonds; enfin, la maîtrise de l’art pictural permettra à O-Ei de prétendre à une légère rivalité avec son illustre papa, via un dialogue artistique d’égal à égal.
Ces interactions prennent donc de l’ampleur, jusqu’à fusionner complètement et ainsi façonner le propos du film: ce qui construit une personnalité relève autant de sa propre perception du monde que de ce que les autres nous apportent. MISS HOKUSAI milite ainsi pour un certain lien social à travers l’acharnement au travail, discours sans doute un peu naïf mais toujours d’actualité. Utiliser l’image comme O-Ei (et Tetsuzo) est un moyen d’y parvenir, de même que pour Keiichi Hara, réaliser un film sur ce sujet est un moyen de faire passer un message. Intelligemment, sujet, medium et mise en scène se rejoignent et transforment un film aux prétentions moindres en geste humaniste et fédérateur. Jolie morale malgré tout.
Critique par Georgeslechameau pour Le Blog du Cinéma