L'Oeil du cyclone est à l'origine une pièce de théâtre que le réalisateur Sékou Traoré a découverte lors d'une représentation à Ouagadougou au Burkina Faso en 2004 : "Je pense que cette pièce écrite en 2003 était très avant-gardiste, car elle dénonce des systèmes politiques et des pratiques de corruption bien rôdés sur lesquels tout le monde continue de fermer les yeux, tant en Afrique qu’en Europe." S'il a eu un coup de coeur pour cette oeuvre, ce n'est que des années plus tard qu'il rencontre le scénariste Luis Marquès. Après s'être liés d'amitié, les deux hommes décident de porter à l'écran L'Oeil du cyclone. Les deux acteurs principaux de la pièce, Maïmouna N’Diaye et Fargass Assandé, y reprennent leur rôle respectif.
L'Oeil du cyclone est le premier long-métrage de Sékou Traoré. Il a remporté une trentaine de prix internationaux, dont celui du meilleur scénario, du meilleur acteur et de la meilleure actrice au FESPACO, l'un des plus grands festivals de cinéma africain qui se déroule au Burkina Faso.
Il a aussi reçu le prix du meilleur long-métrage de fiction au Pan African Film Festival de Los Angeles, le prix Crise et Discours Politique au Helsinki African Film Festival, le Prix Canal + lors des Rencontres Audiovisuelles de Douala au Cameroun en 2015, les prix du Meilleur Film et Meilleur 2nd Rôle Masculin aux Africa Movie Academy Awards 2016, le prix du Meilleur Film de Fiction sur les Droits Humains au Durban International Film Festival ou encore le prix du jury au Francofilm Festival Francophone de Rome.
L'Oeil du cyclone s'appuie sur une réalité terrible : en Afrique, on estime à 150 000 le nombre d’enfants soldats devenus adultes. Il n'existe à ce jour, aucun programme de déconditionnement. Ils constituent une véritable bombe à retardement pour tout le continent.
Auteur de la pièce de théâtre L'Oeil du cyclone et scénariste de l'adaptation cinématographique, Luis Marquès est surtout connu du grand public pour son rôle de Paolo dans la série Sous le soleil. Le comédien, diplômé d'une maîtrise en anthropologie théâtrale à la Sorbonne, est fortement impliqué dans le théâtre africain qu'il découvre lors d'un premier voyage en 1991 en Côte d'Ivoire. Il collabore alors avec le comédien et metteur en scène Claude Bowré Gnakouri sur plusieurs spectacles et pièces. Il réalise entre 1998 et 2000 Trois fables à l'usage des blancs en Afrique et Trois fables africaines, deux séries de courts-métrages coproduites par Canal Plus France.
Pour L'Oeil du cyclone, Marquès s'est inspiré "de la situation que nous avons vécue en Côte d’Ivoire en 2002, où nous avons vu surgir dans l’Ouest du pays des hordes de rebelles libériens. Certains avaient 26 et 27 ans et ne connaissaient que la guerre depuis l’âge de 8 ans. Étant souvent dans la région à cette période, une réflexion est née dans mon esprit sur l’avenir de ces jeunes qui malheureusement existent dans toutes les longues guerres du monde. Qu’en fait–on le jour où la guerre est finie ? Que deviennent ces milliers d’adultes enfants-soldats ?"
Maïmouna N'Diaye incarne le personnage féminin principal, celui d'une femme qui ose aller à l'encontre d'un système corrompu. Un rôle qui fait écho au propre parcours de la comédienne. En effet, aussi bien à l'aise au théâtre, à la télévision ou au cinéma, l'actrice est également présentatrice d'émissions TV et réalisatrice de reportages, dont Tranches de vie en 2009, consacré à des personnes ordinaires prises dans la tourmente alors que la Côté d'Ivoire est secouée par une succession de drames entre 1999 et 2004. On y suit notamment le combat d’une femme injustement incarcérée à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan qui vient en aide aux mères et aux bébés nés et grandissant en prison.
Avec L'Oeil du cyclone, le réalisateur a souhaité montrer la diversité de la société africaine dans laquelle se côtoient le luxe -représenté par la famille Tou- et la misère -dans laquelle évolue la famille de Solo- et où l'univers rigide de la prison est voisin de celui de la forêt tropicale, zone de non droit et de trafics obscurs. Quant au scénariste Luis Marquès, il explique : "Nous voulions faire entrer de plein pied le spectateur dans la procédure judiciaire à l’africaine, pour vivre l’instrumentalisation et la corruption du système, contre lequel l’avocate se bat. On découvre aussi l’univers carcéral, grouillant de rumeurs et de prisonniers en colère. Un film pour pouvoir montrer les sphères externes du cyclone (...). Cette histoire effleure le dernier cercle, le plus vertigineux : la tourmente des enjeux des puissances internationales."
Le réalisateur Sékou Traoré a apporté un soin particulier à la lumière, qui joue un rôle central dans L'Oeil du cyclone : "Elle fait ressortir ce qui caractérise chacun de ces univers. Dans la riche villa des Tou, elle est blanche et verticale, comme celle d’une chambre froide, donnant la sensation que les personnages évoluent dans un labyrinthe de marbre blanc et aseptisé. La prison est éclairée par des lumières crues, obliques et tranchantes comme des lames. L’ombre des barreaux glisse comme une menace, les personnages surgissent de zones sombres, qui contrastent avec l’éblouissement de la cour centrale, écrasée de soleil. Quant à l’intérieur de la cellule de Blackshouam, c’est la lumière issue de la petite lucarne qui nous indique le passage des heures et la température, bleue et fraîche à l’aube, se plantant dans le sol comme une épée de feu à midi, rouge et horizontale comme un laser le soir, noire pendant l’orage et la nuit. Enfin dans les rues de la capitale, la lumière naturelle a été privilégiée, car c’est l’endroit où on sent la vie, réelle, normale, colorée, celle des populations des villes africaines qui continuent leurs vies, malgré tous les problèmes de leur pays."
L'Oeil du cyclone est l'occasion pour Sékou Traoré de représenter un univers méconnu, celui des prisons africaines : "L’univers carcéral est très rarement traité par le cinéma africain, du moins dans le long-métrage de fiction ou la série TV. Pourtant de grandes séries américaines comme Prison Break ont battu des records d’audience en Afrique."
Un défi pour le réalisateur qui a tenu à ce que les scènes à l'intérieur de la cellule se distinguent les unes des autres grâce à l'écriture des personnages ou à la mise en scène, "jouant sur les plans fixes pour les scènes d’attente, ou à l’épaule dans les moments de crises sans que le spectateur n’ait l’impression que les scènes de huit clos se ressemblent."