Un film fulgurant, d’une beauté et d’une élégance à couper le souffle. Le meilleur film de Carax. Tout y est, et tout d’abord, paradoxalement, un bon scénario, original, intéressant qui donne du corps au film et permet au talent artistique et pictural de Carax de s’appuyer sur quelque chose de solide. En effet le principe de cette maladie soudaine, de cette épidémie, qui rappelle un peu l’arrivée du SIDA, mais qui finalement se propage chez ceux qui ne rendent pas l’amour qu’ils reçoivent, qui ne donnent pas d’amour sincère, est plausible. Sur ce thème Carax rebondit intelligemment et nous offre une œuvre d’une beauté saisissante et époustouflante. Des scènes cultes que l’on peut voir et revoir : la course effrénée de Denis Lavant sur une musique de David Bowie, un des plus beaux plan séquence de l’histoire du cinéma , la bagarre entre Piccoli et Lavant tous deux torses nus, en lutte greco -romaine stylisée, le saut en parachute de Binoche, avec Reggiani si émouvant en pilote d’avion,. Les plans en Noir et blanc de Binoche , clin d’œil au cinéma de Murnau ou de Pabst, et hommage à la sublime Louise Brooks du Loulou de Pabst .Carax nous indique bien sa filiation avec le cinéma expressionniste allemand .La chanson « Parce que » de Aznavour, chanté à capella par le trio à l’arrière d’une décapotable. C’est beau, c’est nostalgique et le texte Aznavour est magnifié… « je ne me souciais ni des dieux, ni des hommes, je suis prête à mourir un jour, et la vie n’est plus rien sans l’amour qu’elle transforme » . Et puis le décor baroque de cette boutique Boucherie Chevaline, et de la rue qui fait face. Une vraie peinture d’art abstrait, des plans en contre- plongée, des couleurs vives et chatoyantes ; chaque plan est une œuvre d’art Un plan cadré sur un miroir qui réfléchit l’étage supérieur, avec 3 niveaux de profondeur, rappelle les « Menines » de Velazquez . C’est de l’art absolu. Les dialogues même sont jouissifs : « Tu crois qu’il existe le moment qui va vite, qui dure toujours », ou encore « un jour tu comprendras, un ou deux jours peut-être ». Piccoli tient là un de ses plus beaux rôles, il est touchant, sobre, profond, humain, à la fois paternel et sensible, très bien dirigé. Bien sûr le couple Lavant / Binoche est électrique et les deux sont au summum (magnifique plan fixe de 4 mn sur le visage de Binoche qui récite sa tirade pleine de grâce.). Julie Delpy est pleine de légèreté, diaphane, en amoureuse romantique, puis enfourchant sa motocyclette, on pense au livre de Mandiargues. Et le plan final de Binoche qui prend son envol dans les airs, décollant du terrain d’aviation, est complètement onirique et féerique. Tout y est. Une œuvre majeure du cinéma français, Probablement la plus aboutie, la plus poétique, la plus belle , la plus « révolutionnaire » depuis la nouvelle vague des années 60.