“Montage d’enfer” : Dans ce cas précis, c’est un atout. Là où tant de documentaires, qu’ils soient musicaux ou pas, optent pour un montage sage et réfléchi d’images d’archives souvent vues et revues et d’interviews où chacun y va de sa déclaration d’amour sans retenue, Brett Morgen privilégie une plongée vertigineuse dans l’intimité de Kurt Cobain, l’homme, pas la rockstar. Sur la forme, déjà, le résultat marque puissamment sa différence. On y découvre une masse compacte de bandes vidéo de concerts ou de tournées, certes, et quelques interviews des proches (sa mère, sa soeur, Krist Novoselic, Courtney Love) qui prennent évidemment une résonance particulière compte tenu de la fin tragique de l’artiste mais ce sont surtout les autres documents qui interpellent : annotations personnelles, dessins, ébauches de textes, qui laissent affleurer l’intériorité de Cobain mieux que ne le ferait un long discours et laissent au spectateur la liberté d’imaginer et de ressentir, comme il l’entend, ce qui se passait dans la psyché complexe de l’artiste. Courtney Love et Frances Bean ont simplement filé au documentariste les clés d’un hangar dans lequel étaient entreposés, dans une quinzaine de cartons, tous les papiers personnels et souvenirs restants de Kurt Cobain, à charge pour lui d’en tirer librement quelque chose. Les sections illustratives animées (excellente idée, au demeurant) cèdent peu à peu la place à des vidéos de familles, celles, brisées, dans lesquelles il a grandi, et celle, auto-destructrice, qu’il a fini par former avec sa femme et sa fille. Il ne s’agit pas de vidéos “autorisées”, avec une équipe de tournage qui serait venue filmer dans l’intimité des Cobain mais d’archives privées, banales, ce qui les rend d’autant plus précieuses : une discussion dans la salle de bain, une fête d’anniversaire, une séance de coupage de cheveux,.... Après l’imaginaire et les intentions qu’on peut lui prêter, cette incursion dans la réalité quotidienne du leader de Nirvana est inédite…mais elle peut aussi être dérangeante, en fonction du degré de proximité émotionnelle qu’on a pu entretenir, ado, avec lui, tant on a l’impression de pénétrer dans une intimité, physique et mentale, qui ne nous regarde pas : on y découvre un type ordinaire, un mari, un père, éperdu d’amour pour sa femme et pour sa fille…mais dont on suit, presque en temps réel, la rapide détérioration physique et mentale qui le conduira à sa décision fatale. ‘Montage of heck’ se positionne à l’extrême limite du voyeurisme, mais c’est aussi ce qui le rend aussi fascinant.