Le début du documentaire d'Olivier Ducray qu'il consacre au travail d'une infirmière libérale est une succession ininterrompue de visites chez de vieilles gens. Comme la professionnelle de santé que l'on suit est une vraie tornade de bonne humeur, nous n'avons guère le temps de souffler ni de bien intégrer visuellement toutes ces personnes. Nous sommes pris par le tourbillon de ses entrées et sorties, par tous ces échanges empreints de gentillesse, de tendresse mais aussi de bon sens. Françoise, l'infirmière est souvent la seule visite que ces personnes auront dans la journée. Elle est celle qui apporte le monde dans une vie de solitude où parfois seule la télé permet d'être relié à la réalité contemporaine. Elle est celle qui apporte aussi la gaieté, des mots de réconfort, de soutien, stimulant les uns, délirant avec d'autres, épaulant ceux qui lâchent prise, se transformant souvent en confidente. "La vie des gens" c'est à la fois le magnifique portrait d'une infirmière pour qui son métier est un mélange de soin mais surtout d'échanges attentifs, mais aussi un regard lucide, plein de tendresse sur l'isolement et la dépendance des personnes âgées.
Hou là, va-t-on me dire, pas envie d'aller voir ce que, de plus en plus, on ne essaie de ne pas voir ou d'oublier. Et vous aurez tort ! Le réalisateur , Olivier Ducray, a un vrai regard de cinéaste. En suivant Françoise, il pénètre au début dans les appartements du bout de la caméra, filmant pudiquement des objets disposés là, évoquant ainsi en quelques secondes toute une vie, puis s'attarde petit à petit, même après le départ de l'infirmière, captant un regard mélancolique disant toute cette solitude subie, une réflexion drôle ou complice aussi.
Réalisé sur une année, à raison de 3 ou 4 jours de tournage chaque mois, le temps, rythmé par les saisons, est ici une unité de mesure dont on perçoit toutes les nuances : le temps qui passe, le temps qui reste, le temps qui a filé trop vite, le temps qui ne passe pas tellement la solitude est pesante....
Tous ces hommes et toutes ces femmes qui savent que leur temps est compté, s'appuient sur l'infirmière. Ils savent bien qu'elle fera tout ce qu'il faut pour qu'il puisse au moins mourir chez eux, car c'est son désir aussi à elle. Sans pathos, sans jamais leur mentir sur leur sort, en étant concrète, mais magnifiquement humaine, elle va les accompagner avec force, humour et grande tendresse. Au fil du temps, ces personnes nous deviennent familières et je défie quiconque de ne pas y retrouver, qui un parent, qui un grand parent... L'effet miroir est aussi garanti, ayant sous les yeux le sort qui nous attend peut être. Malgré cela, on sort de la salle avec la délicieuse impression d'avoir rencontrer des personnes formidables. Bien sûr, Françoise, l'infirmière est une nature, un vrai personnage, une femme comme on aimerait en rencontrer plus tard, quand notre corps commencera à lâcher d'un peu partout. Mais toutes ces personnes âgées, aussi différentes soient-elles, s'invitent dans nos vies et par la grâce d'une caméra complice, deviennent eux aussi des familiers auxquels on s'attache.
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