Shadow Days : les secrets du tournage

L’histoire du film se déroule dans un village des montagnes, plus précisément à Zhiziluo, juste au-dessus de la Salouen qui prend sa source sur le plateau tibétain au nord. Zhao Dayong explique qu'il a découvert cette ville dans les années 1990 et en est tombé amoureux. Le réalisateur explique :

"Située sur une ancienne route commerciale, c’était jadis un centre administratif animé. Mais dans les années 80 la ville s’est vidée de ses habitants tandis que s’effaçaient peu à peu les reliques idéologiques d’antan. Zhiziluo est devenue une ville fantôme, triste, où seule une poignée d’habitants issus de la minorité locale Lisu réside désormais. C’est un lieu qui a une signification particulière pour moi, un lieu paisible mais également hanté par les fantômes du passé et du présent. C’est incroyablement beau et j’ai toujours la sensation que les bâtiments laissés en ruines ont des histoires terribles à raconter."

Dans Shadow Days, la scène du transport de la statue de Mao Zedong à travers le village a quelque chose de burlesque comme le souligne le metteur en scène Zhao Dayong : "L’idée, l’image et le pouvoir de Mao planent toujours sur nous, telle une ombre, quand bien même son héritage est brisé ou douloureux. Je voulais montrer comment, dans une grande mesure, Mao Zedong gouverne toujours la Chine, bien qu’il soit mort depuis des décennies. Je voulais utiliser cette statue pour exprimer l’idée de la présence continue de Mao dans nos vies –une présence à la fois absurde, désopilante et pathétique."

Si le financement est un problème pour tous les cinéastes indépendants dans le monde, la situation est encore pire pour les cinéastes indépendants chinois, qui doivent composer avec la censure omniprésente. Zhao Dayong considère qu'il a tout de même eu de la chance avec Shadow Days même si la recherche de financement du film lui a pris trois longues années. Il développe :

"Ceux qui ont l’argent en Chine sont, pour beaucoup, de nouveaux riches incultes qui n’ont aucune autre valeur que l’argent lui-même. Il n’y a pas la moindre chance que ces gens-là misent sur moi – sans stars, sans scénario commercial, sans un retour sur investissement significatif au box-office chinois. Heureusement, j’ai rencontré May Liu, qui dirige un fond d’investissement mais a un intérêt réel pour le cinéma, et peut-être pour mon film en particulier."

Le film montre sans détour ce qui arrive aux femmes enceintes lorsqu’elles sont "en infraction". Zhao Dayong a voulu représenter cette horreur car elle ne relève pas de la fiction mais bel et bien de la réalité en Chine. Le cinéaste va même jusqu'à dire que son film est assez sobre par rapport à la réalité :

"Le camion qui embarque les femmes pour des avortements forcés et pour être stérilisées est un souvenir distinct de ma propre enfance. Je me souviens très bien quand, en 1974 alors que j’avais 4 ans, ma mère a été embarquée avec d’autres femmes pour se faire stériliser. C’était un de ces gros camions verts, comme dans l’armée. Ma mère n’a jamais résisté bien sûr. Et après ils ont même distribué aux femmes des fruits en conserve et du varech. Les avortements forcés constituent malheureusement un scénario récurrent et quotidien en Chine. C’est juste que les Chinois s’y sont habitués."

"Shadow Days raconte l’histoire de personnes vivant dans une ville en ruines –une ville qui reflète des questions profondes et parfois dérangeantes au sujet de la société chinoise, de notre monde et de ses relations avec le passé, le rationnel et l’irrationnel." 

"A chaque fois que je vais à Zhiziluo, cette ville fantôme aux confins de la Chine, à la frontière de la Birmanie, je vois les reliques idéologiques de la Révolution Culturelle transpirer sur les murs ternis et dans les pièces poussiéreuses de chaque maison… Je sens que ces esprits m’observent, qu’ils continuent à tous nous hanter. Et je me dis que nous continuons en vérité à vivre dans l’ombre de cet héritage." 

"Ces ombres sont les nôtres, même si nous détournons les yeux. Notre société s’est déshumanisée. Nous sommes devenus indifférents à tant de choses qui se déroulent pourtant sous nos yeux, y compris les plus horribles. Nous vivons une nouvelle ère et faisons fi des signes du passé et du présent. Nous nous anesthésions délibérément avec des rêves inconscients, d’un futur fantasmé."