C’est plutôt le cœur content et l’esprit de noël avec nous que nous sommes allés voir ce film. Il est plutôt rare que l’on s’exprime ainsi en sortant d’une salle de cinéma, plus habitués aux débats entre nous qu’à l’expression publique de nos avis. Il faut dire que ce film nous a particulièrement déplût, en voilà les raisons :
Commençons par l’histoire. Le potentiel est énorme, autant que la déception qui est arrivée ensuite. Le scenario est mille fois vus et revus. Une vraie insulte à l’intelligence des enfants, puisque c’est « pour eux » que le film est censé être fait. Aucune seconde lecture n’est proposée, les péripéties s’enchaînent d’une façon bien trop prévisible, gâchant toute surprise et même plaisir à voir l’histoire se dérouler. Pourtant le postulat de départ, avec cette petite orpheline qui débarque à Paris pour intégrer l’école de l’Opéra de Paris, ouvrait des champs de possibilités incroyables, trop peu utilisés.
Qui plus est, on a presque envie de s’excuser auprès de toutes les danseuses et de tous les danseurs du monde : pardon, on sait très bien que la danse ne s’apprend pas si vite ! La morale liée à la danse d’ailleurs était d’un classique … (au moins c’était dans le ton
Du côté des personnages, les clichés s’enchainent. Félicie pourrait être intéressante, son caractère bien trempé s’annonçait prometteur, mais il est malheureusement desservi par la déconcertante facilité avec laquelle elle traverse les obstacles. On aurait envie de s’attacher à elle mais sa chance perpétuelle (comprenez redondante) l’éloigne du spectateur et en fait une figure superficielle. Du côté de Victor, l’autre protagoniste, il se laisse tellement marcher dessus que c’en devient ridicule. Un garçon doux et sensible, oui, mille fois oui, mais à ce point-là on ne peut s’empêcher de soupirer de désespoir à chacune de ses apparitions. Son personnage est encore amoindri par les blagues de mauvais goût qu’il distribue, pas assez souvent pour en devenir un trait de caractère, trop pour ne pas être exaspéré. C’est le « comic relief » raté. L’idée est là mais ça tombe à plat. Le duo de méchantes mère-fille est totalement uniforme, incompréhensible, leurs actions sont gratuites (sauf pour provoquer des obstacles que les héros devront surmonter, autant y aller au chausse-pied, on nous prendrait moins pour des idiots), manquerait plus qu’une musique et un rire de méchant pour parfaire le stéréotype. L’un des rares moment du film qui marche bien concerne pourtant la méchante, l’exagération est suffisamment assumée et poussée à son paroxysme pour fonctionner – Pourquoi les scénaristes et réalisateurs n’ont pas su choisir entre le parodique et le sérieux pour le reste de leur histoire ? Les autres personnages sont tellement dans l’exagération de figures-type que c’en devient cliché. Certains personnages ont des évolutions incompréhensibles, adoptent de nouveaux comportements sans raison (sauf pour faire avancer l’histoire – et pourquoi pas faire intervenir la main de Dieu si aucune bonne idée cohérente ne leur venait en tête plutôt que de détruire des personnages précédemment introduits ?). Seul point positif sur le personnage d’Odette, le seul respectable au niveau du caractère, du jeu et de la construction.
Du côté des voix, le casting est assez étrange. Parti pris artistique ou tentative de choisir des personnalités, peu importe leur cohérence avec l’esprit et le corps des personnages ? Pour Félicie et Victor les voix sont bien trop âgées par rapport à leurs âges supposés, c’est assez gênant (au bout de 10 minutes on finit par oublier, sans doute parce que les autres horreurs du film les mettent en arrière-plan).
Quand il s’agit de faire un film d’animation avec le souhait de l’exporter à l’international, on fait ce qui est appelé un « lip synching » en anglais : toutes les répliques françaises sont adaptées en anglais pour permettre une meilleure exportation dans cette langue. Pour autant, pour Ballerina cette explication n’excuse pas que la post-synchro française provoque un décalage si important entre le labial et les voix des personnages. Vous avez déjà vu un film dont la bande son est désynchronisée ? C’est à peu près ça avec ce film. Comme pour la cohérence du timbre de voix on finit par s’habituer, mais n’est-ce pas dommage de s’habituer à du travail mal fait quand on va au cinéma ?
Parlons animation, pourquoi choisir entre le cartoon et le semi-réalisme si on peut faire les deux ? Ils n’y verront que du feu ! Voilà un film sur la danse classique, un domaine où le corps et les mouvements sont subjugués. Mais non ! Pas ici ! Gestuelle pas finie, mouvements inhumains, danses presque mécaniques, mouvements cartoon trop rapide où la réalité physique d’un corps n’est pas respectée… C’est quand même dingue pour une production française alors que les animateurs français passent pour être les meilleurs à l’échelle internationale ! Et c’est encore plus dommage pour les chorégraphies, sans doute sublimes dans leur version originale, composées par une chorégraphe de l’Opéra de Paris – on n’en voit pas grand-chose.
Parlons musique, question de se fâcher un peu, l’utilisation de musiques pop plutôt que classiques dans un film sur la danse classique n’est pas une mauvaise idée en soit. Ça a déjà été fait dans d’autres productions et avec brio, le rendu peut vite être agréablement surprenant et courageusement innovant. Cependant, ici, le choix des musiques est bien trop clairement commercial plutôt qu’artistique pour être salué. Les seuls moments où la musique classique résonne dans la salle c’est toujours en arrière-fond ou quand l’histoire se concentre sur les méchants. C’est vraiment dommage, ça aurait été l’occasion de découvrir la musique classique en vogue à cette période de fin XIXème siècle. Là on entend juste les tubes de l’été pendant 1h30 et ça casse toute magie. Cela amoindri les effets souhaités, un peu comme quelqu’un qui annonce une blague cassant de fait tout effet de surprise : « attention, ce moment est épique ! ».
Nous déplorons également, et comme nous l’avons déjà dit pour d’autres éléments, l’absence de choix entre deux extrêmes d’une façon générale. Toutes les scènes balancent entre plusieurs émotions. Si c’est très réaliste, puisque nous ne sommes pas mono-émotionnels, c’est ici très mal travaillé, ce qui donne un film totalement déséquilibré. Les scènes émouvantes sont, par exemple, gâchées par un humour maladroit.
Question de ne pas guillotiner ce film sans laisser la défense s’exprimer, quelques points positifs cependant : les décors et l’aspect visuel du film en général sont bons. Le Paris de cet époque est magnifiquement retranscrit, on y croit. Les couleurs sont très agréables et le chara-design (comprenez design des personnages) sont agréables. La lumière est bien travaillée. Et chapeau pour la réalisation des péripéties racontées par Victor (sans plus de détails pour éviter le spoil). Dommage du coup que l’animation viennent gâcher le travail visuel et que des bagues caca-prout cassent cette scène.
Pour conclure et ne pas perdre plus de temps avec ce film, Ballerina n’est pas seulement un mauvais film d’animation mais aussi un mauvais film. À ce propos un film d’animation doit être jugé en tant que film, pas en tant que sous-genre ou production pour enfant. N’insultez pas les enfants en les emmenant voir de mauvais films parce qu’ils seraient trop jeunes pour comprendre ou apprécier. S’adresser aux enfants ne veut pas dire qu’on peut bâcler une histoire parce que leur intelligence ne leur permettrait pas de remarquer les défauts. Quand bien même ils sortiraient ravis de Ballerina, les y emmener parce que « de toute façon ils ne verront pas les défauts du film » est une démarche qui nous dérange. Nous sommes un peu navrés de voir l’indulgence des critiques à propos de ce film – et d’une façon générale à propos des films destinés aux enfants.
Regardons un peu de côté des autres productions françaises récentes : Astérix et le domaine des Dieux (travail de mise en scène excellent, dialogues intelligents, adaptation très bien travaillée, rendu 3D remarquable et animation qui fonctionne parfaitement), Jack et la Mécanique du Cœur (chara-design intéressant, ambiances poétiques, adaptation d’une histoire qui sort de l’ordinaire, animation cohérente du début à la fin même si elle n’est pas parfaite), Mune (histoire original, monde beau et créatif, animation réussie, rendu visuel surprenant), Avril et le monde truqué (travail artistique élaboré par Tardi, une histoire originale, une animation 2D bien travaillée avec un style de bande-dessinée qui bouge assumé), Tout en haut du monde (belle histoire à l’animation stylisée magnifique), Je n’ai pas mangé mon père (rendu visuel plus que correct, bonne utilisation de la motion capture et une histoire touchante adaptée d’un roman) et, bien évidemment, Dofus Livre I Julith (un monstre d’animation pour moins de budget que Ballerina, un parti pris artistique vraiment intéressant, un transmédia réussi)…
Bref, Ballerina fait tâche dans le monde de l’animation française qui mériterait d’avoir d’autres étendards que Ballerina (qui bénéficie d’un bon programme marketing).
Si vous avez du temps à perdre, perdez-le plutôt que d’aller voir Ballerina, (ou allez voir Moana/Vaiana, vous aurez l’exemple de ce qui fait un bon film d’animation, en ce moment au cinéma).
CédricquiressembleàCal, Loéva-Mat, Nostranebula et Akira Tetsu
PS : deux d’entre nous espèrent à l’avenir travailler dans le cinéma d’animation.