Présenté à Un Certain Regard au Festival de Cannes 2015, Je suis un soldat est le premier long métrage de Laurent Larivière, qui a par ailleurs réalisé des courts et moyens-métrages, dont les plus connus (J’ai pris la foudre et Les Larmes) ont été très remarqués : "N'ayant pas fait d'école de cinéma, les court-métrages ont été le lieu de mon apprentissage. Dans chacun d’eux, il est question d’une libération : il s’agit toujours pour le personnage principal de résoudre une énigme intime qui lui permette d’accéder à une conscience nouvelle. Mais dans Je suis un soldat, l’héroïne affronte pour la première fois le monde réel. Je progresse."
Dans Je suis un soldat, Louise Bourgoin se glisse dans la peau de Sandrine, une chômeuse de trente ans contrainte de retourner vivre chez sa mère à Roubaix. Le film traite ainsi d’un sujet très en phase avec notre société touchée par la crise, à savoir ce sentiment d’échec qui pousse quelqu’un à revenir chez sa famille après avoir tenté de se construire ailleurs. La famille devient donc, de manière presque paradoxale, un lieu de déperdition.
Le cinéma est d'ailleurs friand de ce type de thématique, à l'image de Lonesome Jim voyant un Casey Affleck déprimé de retour dans son village après avoir tenté de faire sa vie à New-York ; Two Lovers où Joaquin Phoenix est lui aussi revenu chez ses parents après une rupture amoureuse ; ou enfin De rouille et d'os, dans lequel Matthias Schoenaerts incarne un boxeur à la rue obligé de vivre chez sa soeur dans le sud de la France.
Je suis un soldat se centre sur un fait méconnu des gens : les trafics d'animaux de compagnie. Le metteur en scène explique cependant qu'il ne voulait pas en faire le sujet central du film mais plutôt un cadre propice à suivre les trajectoires des personnages et qui serait symptomatique de leur violence. Il s'agit tout de même d'une réalité très cruelle puisque ce trafic se situe au 3ème rang mondial des trafics après celui de la drogue et des armes. Il représenterait 15 milliards d'euros. La France est le pays d'Europe qui compte le plus grand nombre d'animaux domestiques avec notamment 8 millions de chiens... Et seuls 150 000 chiens des 600 000 vendus chaque année en France proviendraient d'un élevage français déclaré, laissant ainsi de la marge pour les importations des pays de l'Est où il existe de véritables usines à chiots.
Le personnage de Sandrine parvient à s'imposer dans ce monde marginal d'hommes et en profite pour organiser son propre trafic : "En faisant cela, Sandrine pense gagner sa liberté. Mais elle fait le mauvais choix. Ce qu’elle prend pour son salut n’est qu’un pas de plus vers l’autodestruction. Sandrine se bat sur tous les fronts – contre ses origines, contre les circonstances et contre la réalité du monde- mais elle ne dispose que d’armes fragiles. Seuls, son instinct et sa force intérieure finiront par triompher de la confusion dans lequel elle se débat à ce moment précis. Comme si pour elle, le monde était doté d'une hostilité de principe", commente Laurent Larivière.
Les personnages composant la famille de Sandrine ont tous une complexité à laquelle Laurent Larivière tenait beaucoup. Ils ne font pas que subir le système, ce sont aussi des gens qui se battent et sont capables de solidarité. Tout le film est construit sur ce paradoxe, comme en témoigne cette scène où le frère de Sandrine se met à démolir les murs de la maison qu’il ne parvient pas à terminer. Le metteur en scène ajoute : "Sandrine parvient à le calmer en entamant à son tour les fondations de la construction. Elle lui sert d’effet miroir. Et vice-versa. Car c'est une délicate question posée à Sandrine qui s'en sort dorénavant en trafiquant. D'où une seconde interrogation qui en découle : « Jusqu'où est-on prêt à aller pour trouver une place dans la société ? ». Leurs situations se font écho, chacun y apportant des réponses différentes."
Dans le film, nous pouvons entendre la chanson des années soixante de Johnny Hallyday "Quand revient la nuit", dont le texte parle de lui-même ("Je suis un soldat, Comme d'autres là- bas, J'attends le jour, Qui verra mon retour...").
En préparant le film, Laurent Larivière avait en tête le travail des frères Dardenne pour leur représentation très concrète de la réalité, mais aussi James Gray pour le côté plus spectaculaire de certaines scènes.
Louise Bourgoin, l'interprète de Sandrine, le personnage principal, a beaucoup contribué à la naissance du projet : "Elle était venue voir un de mes spectacles au théâtre et j’ai découvert quelqu’un de très différent de la projection que je m'en étais faite. Nous sommes devenus amis. Elle et moi venons du même milieu social. Mes préoccupations faisaient écho en elle. J’ai vraiment écrit mon scénario en pensant à Louise : je pressentais qu’elle avait une colère à exprimer qu’on ne lui avait encore jamais vue à l’époque au cinéma. Je ne voulais pas qu’elle se sente obligée de quoi que ce soit. Elle m’a demandé d’en lire une version un jour et m’a rappelé, enthousiaste. C’est seulement là que je lui ai avoué avoir écrit le rôle pour elle", se souvient Laurent Larivière.