Au moment même où Hitler et ses sbires fomentaient leurs horreurs, un autre monstre sévissait et rivalisait en atrocités, un monstre du nom de Joseph Staline. Sur son ordre, dès le mois de juin 1941, plus de 40 000 habitants des pays baltes furent arrachés à leur terre et envoyés en Sibérie dans des wagons à bestiaux. Beaucoup moururent en chemin. Les autres se figèrent dans les terres glacées de Sibérie, victimes du froid, de la faim et des exactions de leurs bourreaux. Très peu en réchappèrent.
Le réalisateur de ce film, l'estonien Martti Helde, met en scène cette page de l'histoire, page méconnue mais dont les répercussions se font encore sentir dans notre actualité. Songeons à ce qui a lieu en Ukraine et qui pourrait aussi se propager aux pays baltes...Pour la réalisation de son film, le cinéaste s'est inspiré des lettres écrites par Erna, une des nombreuses jeunes femmes et mères de famille envoyées de force en Sibérie. Séparée de son mari Heldur, dont elle reste sans nouvelles, elle écrit durant 15 ans des lettres qu'elle ne peut envoyer au destinataire puisqu'elle ignore où il se trouve.
Ces lettres bouleversantes racontent la vie, ou plutôt l'absence de vie, que mènent les déportés dans un coin perdu de l'immense Sibérie. Le travail, la faim, les répressions, les menaces, et le temps qui semble ne plus s'écouler. Tout est comme figé, arrêté, suspendu dans la non-vie.
Pour mettre en scène ce que décrivent ces lettres, Martti Helde a fait le pari de l'audace formelle. Puisque le temps semble s'être figé, il a choisi de ne filmer que des tableaux vivants, des êtres immobiles, des scènes arrêtées. Pari téméraire puisque le cinéma est par définition l'art du mouvement, mais pari gagné. En fait, le mouvement est présent, mais c'est celui de la caméra. C'est elle qui se déplace, qui tourne, scrute, dévisage, revient sur un espace déjà montré mais qui, entretemps, s'est transformé. Le résultat est étonnant, inédit, fascinant.
La crainte qu'on pourrait avoir, c'est qu'à force de figer les corps on fige aussi l'émotion. Mais non, l'émotion est intacte. La voix off qui fait entendre les lettres d'Erna nous touche au plus profond et tous ces êtres dont on perçoit la souffrance nous bouleversent.
Enfin un grand film, un film audacieux et nécessaire, en cette année 2015 jusqu'ici assez terne sur le plan cinématographique! 8,5/10