Pour débuter 2017, le premier film de ma "liste" de cette nouvelle année se trouve être l’adaptation d’une de mes bandes dessinées préférées, « Seuls », réalisé par David Moreau. Créé en 2006, écrite par Fabien Vehlmann et dessinée par Bruno Gazzotti, cette BD franco-belge, plutôt célèbre en France puisqu’elle totalise aujourd’hui près de 1 500 000 albums vendus, est enfin adapté au cinéma pour mon plus grand plaisir (ou déplaisir, enfin vous verrez).
L’histoire est la suivante : cinq enfants (adolescents dans le cas du long-métrage) se réveillent un matin et se rendent compte que toute la population de la ville, nommée Fortville, a soudainement et inexplicablement disparu. Seuls et livrés à eux-même, le groupe va donc devoir apprendre à survivre dans une cité devenue hostile et à se préparer pour affronter les dangers qu’ils les guettent.
J’étais, dès l’annonce du projet en 2014, enthousiaste et impatiente de voir le résultat pour plusieurs raisons (outre le fait qu’il s’agisse d’une BD qui est chère à mon coeur). D’abord, le film est réalisé par David Moreau, un cinéaste français qui m’avait épaté dans le temps avec son long-métrage d’horreur «Ils», un film qui avait réussi à mélanger tension et angoisse. Le voici cette fois avec une oeuvre fantastique mêlant le suspense et un peu la science-fiction. Je pouvais déjà espérer une bonne surprise de la part de ce réalisateur qui m’avait convaincu auparavant. Autre raison, on sait tous à quel point l’adaptation au cinéma peut être compliquée. Passer de l’oeuvre dessinée à celle de l’écran, ce n’est jamais chose facile ; que ce soit pour les bandes dessinées, les livres et même les jeux vidéo. Ayant lu tous les tomes de l'album, je peux vous garantir que « Seuls » promettait d’être sacrément difficile à adapter. Pari risqué donc. De plus, et c’est important de le mentionner, le fantastique est un genre peu pratiqué dans le cinéma français ; selon moi, chaque proposition de ce genre doit être soutenue tellement celui-ci est sous-représenté dans notre hexagone. Par conséquent, « Seuls » devient tout de suite un projet audacieux. Et pour finir, la bande-annonce était alléchante et n’en dévoilait pas trop. J’ai alors attendu et espérer, et j’ai enfin vu « Seuls ».
Pour commencer, j’ai décidé de comparer légèrement le film à son oeuvre d'origine, mon seul outil de support ; j’en citerai quelques points en essayant de ne pas faire de trop grosses comparaisons, car je me suis fait à l’idée que ça n’allait pas être aussi bien que la bande dessinée. Donc au final, je le jugerai comme un simple film avant tout (et pas juste comme une adaptation). Adapter, c’est trahir, et dans ce cas-là, David Moreau ne le fait pas en douceur. En effet, le réalisateur compile les cinq premiers tomes (qui représentent le premier cycle) de la BD en 1h30 seulement ; et les modifie profondément. Des changements importants ont donc été apportées, dont certaines s’accordent mieux à l’étroitesse du budget (un point dont je reviendrai plus tard). Sans surprise, le cinéaste s'éloigne de la trame originale de la BD afin de permettre à l’oeuvre de s’adapter davantage sur le grand écran, et nous propose une réécriture intelligente de la BD ; en construisant une intrigue à la fois réaliste et fantastique, le cinéaste réussit à mettre en place sa propre et solide dramaturgie. Il prend son temps (un peu trop peut-être) et il parvient à m’immerger totalement dans ce monde plus noir et moralement ambigu ou règne le mystère et l’inconnu. Alors je rassure tout de suite les fans, l’intrigue de la bande dessinée n’a pas été complètement dénaturée, puisque certains éléments ont été conservé, comme par exemple le fameux maître des couteaux qui, une fois introduit, fait glisser petit à petit le long-métrage vers le thriller. Mais elle innove aussi, apportant des idées assez intéressantes
: comme cette brume dévastatrice, menace permanente qui pèse sur les protagonistes tenus enfermés dans la ville, un drone qui surveille leurs moindres faits et gestes ou encore ses appels radios qui leur font croire qu’on viendra les chercher.
Pour parler de l’ambiance générale du film, David Moreau a clairement choisi d’exploiter l’aspect sombre de l’oeuvre d'origine. Il base tout sur le mystère et la surprise. Avec cette atmosphère post-apocalyptique, le réalisateur parvient à insuffler une belle dose de noirceur au récit, propice à de bons moments de tension et de suspense (principalement les passages avec le maître des couteaux), la preuve, j’ai sursauté une fois
(le moment ou le maitre attrape Leila et la fait basculer sur le côté).
Bon après, « Seuls » ne va pas au-delà, ce n’est pas non plus un film d’horreur, le film reste relativement sobre dans l’ensemble, rien de gore, rien de choquant. Visuellement, le long-métrage, bien que peu inspiré finalement, reste assez beau. David Moreau crée un film esthétiquement cohérent avec son univers. Il compose des couleurs bien froides et grises (ce qui va à l'opposé de l’univers coloré de Bruno Gazzoti). J’ai trouvé néanmoins que la photographie était un brin trop sombre par moments. Je retiendrais davantage les décors : des rues désertes, un hôtel aux couloirs vides, une église, ou encore une fête foraine cauchemardesque en sont les principaux éléments ainsi que les architectures brutalistes des banlieues qui accroissent le sentiment d’hostilité qui se dégage de l’environnement. Aussi, au niveau de la réalisation, le film est bien cadré en plan large, mais la gestion était parfois maladroite au niveau des séquences d’action, en particulier les scènes de courses poursuites en voiture, elles sont souvent sur-découpées et par conséquent illisibles. Les effets spéciaux sont par contre vraiment réussis, il n’y en a pas énormément, mais compte tenu du budget restreint (6 millions d’euros), je peux dire qu’ils sont sacrément bien maîtrisés (je pense évidemment à l’effet spécial du brouillard, représenté comme une sorte de tsunami, prêt à engloutir la ville). Pour ce qui est reste sur le plan technique du film, je citerai pour finir la musique. Je l’avais vraiment oubliable. Néanmoins, j’ai pris le temps d’écouter entièrement la bande-son une fois rentrée chez moi. Celle-ci est composée par un artiste français nommé Robert Coudert « ROB », et finalement, je pense que c’est moi qui n’étais pas assez attentive. La BO est plus que correcte ; bien que les thèmes sont assez répétitifs dans l’ensemble, ils accompagnent bien le film et principalement les séquences les plus sombres, particulièrement pour la scène du « twist ».
Parlons maintenant d’un sujet un peu plus délicat : le casting. Les acteurs choisis sont étonnamment proches du physique de leurs personnages respectifs dans la version papier, même s’ils sont plus âgés (ce qui n’est pas plus mal pour la crédibilité de l’action). Ils sont très caractérisés - là aussi comme dans la BD - sauf que par rapport à cette dernière, ici, les protagonistes bénéficient de traitements variables, plus ou moins intéressants, parfois un peu inégaux selon les scènes, c’est surtout Leila qui est mise en avant, la seule où son histoire est clairement exposée. Mais à cause de ce manque global de développement, on perd de vue leur véritable psychologie, et ils se retrouvent du coup réduit à des stéréotypes. J’ai sérieusement eu du mal à m’attacher à eux. De plus, leur alchimie ne fonctionnait pas toujours. Le jeu des comédiens est parfois maladroit, mais ça reste globalement correct. Pour les juger un par un, nous avons d'abord Sofia Lesaffre dans le rôle de Leila ; sans être exceptionnelle, l’actrice nous dévoile une belle palette d’émotions, surtout dans la dernière partie du film. Stephane Bak (Dodji) est bien aussi ; tout comme Paul Scarfoglio (Yvan), le seul défaut le concernant ce sont ses blagues qui tombées souvent à plat. Jean-Stan du Pac m’a étonné, il était vraiment convaincant en Terry ; c’est juste dommage que les aspects teigneux et colérique du personnage d’origine n’ont pas été gardés.
En revanche, j’ai bien aimé son "début d’amitié" avec le maitre des couteaux.
Et pour finir, on a l’actrice Kim Lockhart dans le rôle de Camille, et qui, bien que correct dans l’ensemble, avait tendance à mâcher ses mots par moments ; de plus, je n’ai pas vraiment apprécié les changements de caractère de son personnage. Dans la BD, elle était douce et compatissante, là, je l’ai trouvée un peu « froide ». Concernant les antagonistes, il y en a deux. Le premier, c’est bien évidemment le fameux Maître des couteaux, qui est tout bonnement formidable, tant il est parfait dans chacune de ses apparitions, David Moreau a vraiment su cerner les caractéristiques du personnage et l’acteur, qui se nomme Renan Madelpuech, est vraiment doué. Maintenant, parlons du second antagoniste, à savoir Saul. Il est fort possible que mon avis sur lui ira a l’encontre de tout ce qui a été dit a son sujet. Avant la sortie de « Seuls », je mettais mis à lire plusieurs avis (faites par des personnes qui avaient vu le film en avant-première), et la plupart critiquaient sévèrement le personnage. Du coup, j’étais intrigué de le voir, et de savoir s’il était aussi mauvais qu’on le prétendait. Car tout comme le maitre des couteaux, j’aime beaucoup le personnage de Saul dans la bande dessinée, il était donc normal que j’appréhendais son arrivée. Et finalement…c’est compliqué. Le vrai problème, ce n’est pas l’acteur qui l’interprète, ni le fait que le personnage soit mauvais en termes d'écriture, c’est surtout qu’il est sous-exploité ! Il n’apparaît que deux minutes. 2 MINUTES. Comment peut-on exploiter la psychologie d’un antagoniste dans un temps aussi court ? Il n’a que deux petites scènes ! Et pourtant, malgré son manque de présence, j’ai trouvé le personnage bien utilisé tout au long du film.
Tapi dans l’ombre, il observe et manipule avec habileté les protagonistes. D’ailleurs, autre trouvaille scénaristique intéressante : il est lié au maitre des couteaux. L’idée que ce dernier soit son « soldat » était une idée bien trouvée, ça permet d’avoir un vrai fil conducteur (même si on préférera l’idée que le maître soit solitaire et indépendant, comme il l’est habituellement dans la BD).
Au niveau du caractère de Saul, il reste intéressant d’un point de vue moral, et a gardé le côté manipulateur de la BD. Quant à l’interprète, à savoir Thomas Doret, il est très bon (c’est d’ailleurs celui qui a eu le plus d’expérience dans le monde du cinéma, il suffit de regarder sa filmographie pour le savoir). Voilà ce que j’en retiens de Saul : il s'agit d’un méchant prometteur, mais trop peu présent. J’attends d'en voir plus sur lui. S’il devait y avoir une suite au film (ce qui n’est même pas sûr), j’espère que le personnage sera davantage travaillé.
Après avoir parlé des acteurs, je voudrais continuer sur un point qui m’a vraiment dérangé, que je considère même comme le principal défaut du film : son rythme. Le long-métrage débutait pourtant bien, mais malheureusement, à vouloir trop s’étendre, il a fini par créer des longueurs. On est coincé dans cet univers excitant, mais qui met bien trop longtemps à s’installer. On a donc des passages à vide, d'autres qui tombent à plat. Le rythme est inégal. Le film prend trop son temps dans la première partie et expédie la seconde. En revanche, les 30 dernières minutes se révèlent salement prenantes et nous offrent un (double) final digne de ce nom. Ben tiens d’ailleurs, parlons-en de cette fin. Pour ceux qui avaient peur, parce qu’ils avaient lu la BD, que l’effet de surprise ne joue plus sur grand écran, et bien, ils peuvent revoir leurs appréhensions. Même en connaissant déjà la fin, j’ai trouvé qu’elle était très bien orchestrée et vraiment frappante. Le twist final s’avère véritablement poignant et intense. Mais cette fin nous amène malheureusement à un autre problème : sa possible suite qui n’a pas été confirmée. En effet, cette révélation finale se termine sur une fin ouverte qui donne sérieusement envie que le film fonctionne en salle afin qu’un prochain volet soit mis en chantier. Il n’est pas difficile de deviner pourquoi « Seuls » se termine ainsi. Le second volet est apparemment déjà écrit par David Moreau. C’est pourtant un choix risqué, car imaginons si le film n’obtient pas sa suite ? J’espère qu’elle se fera en tout cas.
Pour enfin conclure : en nous proposant à la fois un film singulier et une adaptation personnelle des cinq premiers tomes de la bande dessinée à succès, David Moreau nous prouve ses bonnes intentions et nous offre un long-métrage qui, en tant que réécriture d’une oeuvre, réussit plutôt bien son passage sur grand écran en cherchant à être plus noire mais aussi à être plus réaliste. « Seuls » est un spectacle de bonne tenue, et la manière de faire du cinéaste est bel et bien ambitieuse. Néanmoins, le film n’est pas exempt de défauts, et a manqué de totalement me captiver. Mais malgré ses imperfections, « Seuls » est selon moi un bon divertissement qu’il faut soutenir, tant sa démarche est rare, et qui me fait espérer que le genre fantastique arrivera enfin à percer dans le cinéma français. 3/5