Ce film a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2015. Le réalisateur Zhang-ke Jia est extrêmement habitué du prestigieux festival et pour preuve il était par exemple membre du jury de la sélection officielle au festival de 2014 et a remporté le Prix du scénario en 2013 pour le sombre et réaliste A Touch of Sin, brillant reflet de la situation actuelle en Chine.
Zhang-ke Jia explique que Au-delà des montagnes a eu un temps de maturation très long et vient en partie de séquences accumulées durant le tournage des films précédents du cinéaste : "Depuis 2001, lorsque j’ai eu ma première caméra numérique, mon chef opérateur Yu Lik-wai et moi avons beaucoup circulé, en filmant un peu au hasard. Nous avons tourné des images qui n’étaient pas exactement des tests, plutôt des notes, sans savoir ce qu’on en ferait. Il y a 4 ans, nous avons fait plus ou moins la même chose avec une nouvelle caméra, beaucoup plus perfectionnée, l’Arriflex Alexa. La mise en relation de ces deux ensembles d’images, à 10 ans d’intervalle, m’a donné l’idée du film. J’ai été frappé à quel point les images de 2001 me semblaient lointaines, comme venues d’un monde disparu. Je me suis demandé comment j’étais moi-même à cette époque, et si j’étais capable de renouer avec celui que j’ai été il y a si longtemps… dix ans qui semblent un gouffre."
"Quand on est jeune on ne pense pas à la vieillesse, quand on se marie on ne pense pas au divorce, quand on a ses parents on n’envisage pas qu’ils vont disparaître, quand on est en bonne santé on ne pense pas à la maladie, Mais à partir d’un certain âge, on entre dans ce processus, qui est celui du présent mais aussi de projections dans l’avenir", note Zhang-ke Jia, qui voit Au-delà des montagnes comme un film dont le sujet central est la relation des sentiments avec le temps. Cette angle fait écho avec son propre parcours puique le cinéaste né en 1970 qui a 45 ans maintenant est davantage sensible à ces questions liées à la temporalité qu'il ne l'était avant.
Au-delà des montagnes repose sur la comparaison entre les étapes d’une vie et des paysages successifs qui défilent (d’où l’importance de l’idée de voyage en voiture, train, etc.) : "Il y a ce déplacement permanent, et en même temps il y a ce qui se répète, ce qui est stable dans le quotidien – ne serait-ce, de manière très triviale, que le fait de manger : on a fait des raviolis, on fait des raviolis, on fera des raviolis…", souligne Zhang-ke Jia.
Si le film parcourt différents paysages, un point fixe demeure, celui de la petite ville provinciale de Fenyang, où vit le personnage de Tao. C'est aussi là que Zhang-ke Jia est né, a grandi et a tourné Xiao-wu, Platform et plus tard une partie du pessimiste A Touch of Sin. Il s'agit d'un point d'ancrage affectif puisque le cinéaste y a ses attaches, mais également esthétique et social propice au cinéma, la ville étant représentative de la vie en Chine.
Dans le film, le cadre devient de plus en plus grand, passant du 1,33 au 1,85 puis au format scope. Cette évolution technique traduit autant une perte de repères qu’une ouverture pour le réalisateur : "J’ai suivi les contraintes des techniques successives utilisées quand nous avions filmé, techniques qui correspondent elles-mêmes aux différentes périodes. Les scènes dans la boite de nuit, ou celles avec le camion de charbon enlisé, ont été tournées en 1,33 à l’époque, j’ai tenu à les conserver dans ce format. Avec l’Alexa et le format plus large, c’est tout le rapport à l’espace qui change, pas seulement la taille du cadre. Et puis à nouveau avec les images en scope, pour lesquels on a utilisé des objectifs anamorphiques, donc qui déforment l’espace même si on ne s’en rend pas compte."
La partie future du film se déroule en Australie. Zhang-ke Jia a choisi ce pays parce qu'il semble encore beaucoup plus lointain que les Etats-Unis et le Canada où la plupart des Chinois émigrent. Dans cette partie, le cinéaste a dû diriger des acteurs en anglais, ce qui ne lui a pas posé de problème même s'il ne maîtrise pas totalement la langue.
Deux chansons jouent un rôle important dans le film, Go West des Pet Shop Boys et une chanson de variétés en cantonais intitulée Take Care. La première a été extrêmement populaire en Chine dans les années 90 à une époque où des discothèques ouvraient un peu partout et la seconde est un morceau peu connu de la chanteuse Sally Yeh, une star de la cantopop. Zhang-ke Jia explique : "La musique populaire m’a toujours beaucoup intéressé, ces chansons m’ont aidé à comprendre la vie et elles sont un très bon témoignage de la mentalité collective, elles racontent la société."
La comédienne et femme de Zhang-ke Jia, Zhao Tao, est une grande habituée du cinéma de son mari puisqu'elle a joué dans tous ses films depuis Platform en 2001. Elle livre cependant dans Au-delà des montagnes une prestation qui a surpris le réalisateur : "Au début de la préparation, elle m’a demandé si je pouvais lui donner des indications sur le personnage, je lui ai donné seulement deux mots : « explosif » pour la première partie et « océan » pour la deuxième. A partir de là, elle a énormément travaillé de son côté, elle a rempli plusieurs cahiers de notes sur le personnage, sur tout ce que je n’avais pas écrit dans le scénario, qui comme d’habitude est surtout constitué de grands repères, en laissant beaucoup de place à l’initiative durant le tournage", se rappelle-t-il.
Shanghai Film Group est coproducteur de Au-delà des montagnes. Le studio avait perdu beaucoup d'argent du fait que A Touch of Sin n'était pas sorti en Chine mais il a néanmoins choisi d'accompagner à nouveau Zhang-ke Jia sur son nouveau film. Le metteur en scène espère qu'Au-delà des montagnes pourra permettre au studio de récupérer l’argent qu’il a perdu.