Libres et indociles comme les mustangs, les chevaux sauvages de l'Ouest américain, ainsi apparaissent les cinq soeurs dont ce film de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven nous invite à suivre les destinées. Cinq soeurs que l'on découvre se livrant sans honte aucune à des jeux aquatiques, juchées sur des épaules de garçons. Mais cinq soeurs que la société rigide du fin fond de la Turquie dans laquelle elles grandissent se fait un devoir de mettre dans le rang.
Cinq soeurs, cinq orphelines, que leur oncle, qui a pris en charge leur éducation, choqué par les ragots qui circulent sur leur compte, décide de dresser. Aidé par sa mère, à qui il a fait de vifs reproches, l'accusant d'avoir donné trop de liberté aux filles, obsédé par la préservation de leur virginité, il s'ingénie à les couper du monde et à ne leur donner d'autre instruction que celle qui convient, selon lui, à de futures épouses.
La grand-mère, pliant sous la volonté tyrannique de l'oncle tout en essayant de protéger les enfants des fureurs de ce dernier, les oblige à revêtir les robes informes que portent les femmes du village et leur apprend à être de parfaites cuisinières. Quant à la maison, jusque là ouverte aux quatre vents, l'oncle la transforme petit à petit en une forteresse-prison. Bientôt surviennent les prétendants et leurs familles, car, bien sûr, il convient de marier ces filles sans tarder et sans guère se préoccuper de leur consentement.
Qu'advient-il donc de ces cinq filles? Se laissent-elles si facilement dompter, elles qui, semblables aux mustangs, nous ont été montrées fières et insoumises? Acceptent-elles sans broncher la loi imposée par l'oncle, elles qui se plaisent, dès qu'elles le peuvent, à se dépouiller des tristes habits qu'on les oblige à revêtir? Chacune a sa destinée propre, la réalisatrice ayant pris grand soin de préserver les individualités. Si l'une courbe l'échine et obtempère, il se peut qu'une autre soit détruite et qu'une dernière brandisse l'étendard de la rébellion...
La plus indocile, la plus fougueuse, la plus inventive, la plus audacieuse, la plus rebelle du groupe se révèle être la benjamine, Lela. A 12 ans, choquée, traumatisée par le sort réservé à ses sœurs, elle est bien décidée à ne pas se laisser faire. Pleine d'imagination, elle cherche par tous les moyens à échapper à l'implacable loi érigée par l'oncle. Elle incarne, plus que les autres, non seulement l'insoumission, mais l'affirmation de sa superbe féminité face à l'arrogance patriarcale des hommes et à leur effarante hypocrisie. Se soumettre à la sorte de cauchemardesque rituel qu'est le mariage forcé et aux rites archaïques qui l'accompagnent, très peu pour elle ! Même à 1000 kilomètres d'Istanbul, il y a peut-être moyen de s'en affranchir !
Hymne à la liberté, hommage à la féminité, ce film de résistance, magnifiquement réalisé, envoûte d'un bout à l'autre. Impossible d'oublier ces cinq sœurs et, en particulier, la petite dernière, l'indomptable Lela ! 8/10