Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs lors du Festival de Cannes de cette année, le premier film de la jeune réalisatrice Deniz Gamze Ergüven est actuellement en salles et il frappe fort. Souvent comparé à The Virgin Suicides de Coppola, et cela n'est pas un coïncidence car le film partage effectivement des thèmes communs avec ce dernier et ils sont qualitativement très proche. Comme comparaison on aura vu pire surtout que le film arrive à s'émanciper de tout cela pour créer sa propre voie et s'intéresser à des choses encore peu exploités au cinéma faisant de cette oeuvre, une indispensable. L'écriture se montre d'ailleurs incroyablement vivante, s'intéressant à plusieurs thématiques, comme l'insoumission, l'apprentissage et l'enfermement, à la fois psychologique et physique, pour au final parler de la femme. Sur ce point le film ne s'arrêtera pas à la place de la femme en Turquie mais il fonctionnera comme une allégorie en trois temps qui parle de la femme dans leurs pays, ici la Turquie, la femme au sein du monde mais aussi de sa place dans l'imaginaire collectif. L'aspect qui se fera le plus évident, celui qui sera narratif, est la condition de la femme dans le traditionalisme turc. Ici pas de sous entendu ou de double sens, tout nous est montré de manière frontale dans ce quotidien étouffant qui punit les femmes d'être femmes. On enferme la beauté, on la cache et on prive de tous se qui pourrait être jugé d'obscène car si la femme se permet d'être femme elle est cataloguée de "pute". On suit donc ce quotidien dysfonctionnel où le sexe est diabolisé, c'est quelque chose de mal que l'on ne peut faire qu'une fois marié car la femme ne doit pas être source d'aguichement pour les hommes. Même un jeu d'enfant anodin parait au yeux de tout comme de la perversion et tout est toujours la faute de la femme alors qu'ici le vrai problème est la faiblesse de l'homme. Ici la seule perversion est celle de l'homme qui ne peut contenir ses pulsions face à la femme, ils les blâment parce qu'elle sont jolies, pleines de vies et veulent en profiter alors qu'ils devraient blâmer leurs faiblesses, leurs hypocrisies et leurs envies de dominations. Ici les 5 sœurs sont totalement victimes de ça, elles sont étouffés par ses traditions stupides qui les enferment et les empêches de profiter de la vie. Elles se rebelleront et se battront par tout les moyens qui seront à leurs dispositions devenant des êtres insoumis et matures face à un monde faible, apeuré et stupide. Les sœurs seront d'ailleurs finement écrites, chacune disposant de sa propre personnalité, de sa propre petite histoire et de ses propres troubles. Elles sont toutes incroyablement attachantes et même si certaines ont moins d'importances dans le récit, elles marquent tous leurs empreintes. Je me suis d'autant plus identifié à elles car je partage leurs craintes de ne pas pouvoir être maître de ma vie, que l'on décide pour moi qui je dois être et par dessus tout avec qui je dois être, le mariage forcé est ici un élément qui revient souvent et qui est tout bonnement abominable. Après mon problème sur le film, car il n'est pas parfait, viendra de la caractérisation des personnages en dehors des sœurs. Certains personnages pourtant intéressant sont totalement sous-exploité comme celui de la grand-mère tandis que d'autres manque cruellement de nuance et font parfois too much comme le personnage de l'oncle. Néanmoins tout cela peut s'expliquer par le faite que l'on suit le récit à travers le regard de la plus jeune des sœurs, qui à une vision qui manque de nuance en raison de son âge et qui ne comprend pas tous des choses de la vie, ce qui fait qu'elle ne saisit pas entièrement la chose la plus horrible qui se passe dans cette "prison". Cela permet de contraster avec le regard du spectateur, on comprends des choses qu'elle ne saisit pas rendant certaines révélations encore plus bouleversantes et de constater jusqu'où vont ses sœurs pour essayer de la protéger de la vérité. Le film traite d'ailleurs incroyablement bien l'amour qui unit les sœurs avec des scènes très belles de complicités ou de chamailleries qui se montrent très touchantes et parfois même bouleversantes. Après il est aussi intéressant de voir comment le film parle de sexe à travers le regard un peu candide de la jeune sœur sur le sujet qui contraste avec notre propre regard sur la chose. D'ailleurs tout revient au sexe finalement, c'est ce qui pousse à de belles choses mais aussi à de terribles surtout dans cette société où le sexe est vu comme sale. C'est sans aucun doute la chose la plus intéressante que la vie puissent nous offrir et l'homme l'a pervertie et en fait une chose dangereuse, obligeant les jeunes à aller dans les extrémités pour pouvoir partager un moment intime, ce qui se révèle assez triste au final. Mais le film va pousser plus loin que ça et possède un aspect allégorique non négligeable même si il est finalement peut exploité surtout par la mise en scène. Le film va, par sa situation narrative, pousser ses questionnements au sein du monde, de la place de la femme dans la société moderne qui n'est pas si différente que celle de la femme en Turquie. Les femmes sont prisonnières de leurs beautés et des pulsions qu'elles inspirent aux hommes. Malheureusement les inégalités persistent et sont régit par la peur et cela devient terrifiant lorsque l'on constate que certaines situations d'un système traditionaliste suranné font écho à la place de la femme même dans un système avec des mœurs plus ouvertes, ce qui prouvent bien qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir avant que la femme ne soit plus opprimée pour la simple raison d'être femme. Le film va même encore pousser cela plus loin en parlant de la femme au sein de l'imaginaire en adoptant la structure d'un conte. On a 5 princesses enfermé dans une tour d'ivoire gardé par un ocre, on aura aussi la représentation d'un prince charmant, d'un chevalier blanc mais aussi d'une bonne fée. Et cette structure devient diablement intelligente pour ce qu'elle représente et que les problèmes sont liés aussi à l'enfance et à l'éducation qui nous faisait lire des contes sur des femmes enfermées qui ne pouvait être sauvé que par un homme fort et vaillant. Ici cette émancipation de la femme se fera donc sur les trois niveaux, sur l'imaginaire, la tradition et la réalité offrant au film une valeur symbolique forte. La femme est insoumise, mature, belle et forte, une force de la nature à l'état brute qui revoit au Mustang du titre. Ensuite comme je l'ai dit plus haut tout n'est pas parfait et la mise en scène peine parfois à être à la hauteur du récit. Elle manque ici cruellement d'ampleur, préférant les cadrages serrés qui va plutôt bien lorsque le film se passe en huit clos mais qui devient moins pertinente lors des escapades des sœurs notamment avec la scène au stade de foot qui aurait du s'affranchir de ce procédé pour bien symboliser la libération même éphémère des sœurs. Les seuls plans larges que l'on a dans le film sont au début avec la scène de la plage et à la fin mais il aurait du aussi y en avoir d'autres si on suit la logique d'émancipation du film. Après cela est dû peut être à des problèmes de budget mais ça handicap un peu l'ensemble. Reste que les scènes d'intimités entre les sœurs sont magnifiques, que ce soit le plan en contre-plongée où elles sont en cercles pour ce dire au revoir ou lors de la séquence où elles s'amusent dans leurs chambres entassées les uns sur les autres. De plus la direction d'acteurs est impeccable, ils sont tous confondants de naturels alors que ce ne sont pas des professionnelles avec une mention spéciale pour Güneş Nezihe Şensoy qui est vraiment excellente. En conclusion Mustang est un très bon film. C'est même un tour de force comme premier film, c'est intelligemment écrit, superbement interprété et maîtrise sur sa mise en scène même si elle se montre trop cloisonnée. Après on peut regretter le manque de nuance ou un final qui manque de puissance mais cela ne pèse rien face à cette ode énergique à la vie et aux femmes qui se montre incroyablement belles, justes et touchantes dans ses réflexions. C'est un film qui secoue, qui prend position avec brutalité et fureur et qui sonnent comme un cri désespéré pour que quelqu'un se réveille et arrête ce cauchemar qui à trop longtemps duré au point qu'on le considère comme une tradition. Un film indispensable car un film vrai.