Elles sont cinq sœurs, toutes plus jolies les unes que les autres, leurs âges s'échelonnant entre 12 et18 ans environ. Leurs parents sont morts; elles vivent dans un village turc au bord de la mer mais loin de tout, avec leur grand mère (Nihal Koldas), un peu fofolles, une véritable petite bande de poneys échappés.
Un jour, en sortant de classe, avec leurs uniformes, jupes plissées et collants opaques, elles vont sur la plage, avec leurs copains, elles rentrent dans l'eau, puis grimpent sur les épaules des garçons pour jouer à la bataille navale. Mais une voisine les a vues "frotter leur bas ventre (se masturber, quoi) sur la nuque des garçons". La grand mère est débordée, devant un tel scandale! c'est l'oncle Erol (Ayberk Pekcan, moustachu à souhait) qui va reprendre la situation en main.
C'est le début de l'enfermement. Un contrôle de virginité. Puis, fini, le lycée. A la place, des matrones viennent leur apprendre la cuisine et l'économie ménagère: ce que la femme doit savoir quoi!! Fini, la liberté. Plus le droit de sortir de la maison. On leur coud des robes longues et moches pour remplacer leurs shorts et leurs petites robes d'été...
Mais les petites pouliches sont très douées pour ne pas de laisser faire. Elles inventent des voies d'échappement. La petite dernière, Lale (Günes Nezihe Sensoy) en particulier, est aussi intrépide qu'indomptable. Alors, les grilles se multiplient, les barreaux....
Un match de foot dont le public sera uniquement féminin, les hommes étant punis pour cause de débordements, et où vont toutes les filles du village? L'oncle Erol dit: non; alors elles se sauvent; hélas, les voisines les voient à la télévision.... maintenant, la maison sera gardée par des barbelés. Les filles continuent à se défendre avec leurs armes, à prendre des bains de soleil, à mimer la nage sur leurs couvertures.... à vivre quoi!
A signaler qu'il n'y a pas de référence à la religion dans le superbe film de Deniz Gamze Ergüven. A part les traditionnels "si Dieu le veut" qui émaillent les conversations entre voisins, on ne voit jamais les protagonistes prier ou se rendre à la mosquée. C'est juste une terrible vision du rôle de la femme, dont la valeur marchande dépend du "diamant qui dort entre ses cuisses", pour reprendre le terme d'une des chansons de Jacques Brel. Il faut les garder intactes, puis les marier au plus vite, comme une génisse que l'on vend au marché. Les deux ainées d'abord, Sonay (Ilayda Akdogan) et Selma (Tugba Sunguroglu).
Sonay a de la chance: elle a un amoureux, avec lequel elle l'a déjà fait mais par derrière pour ne pas courir de risque; mais sa sœur est vendue vite fait bien fait, à un inconnu: on présente les deux jeunes gens, la jeune fille sert un thé aux familles, les familles déclarent que "ces jeunes gens ont l'air de se plaire" et hop! le père du fiancé sort les bagues de sa poche. A la nuit de noce, Selma ne saigne pas. Derrière la porte, les parents du marié attendent le drap..... furieux, ils conduisent dare dare la jeune femme à l'hôpital, dans sa robe de mariée, pour qu'un gynécologue dise s'il faut rendre l'objet à son envoyeur ou s'ils peuvent le garder.... Quelle horreur! Ece (Elit Iscan) préfèrera se suicider que de connaître le même sort.
Quand arrive le tour de Nur (Doga Zeynep Doguslu), alors Lale organise la fuite, non elle ne subira pas le même sort, pas elle, pas Nur, et ni l'oncle ni la grand mère n'y pourront rien;
ils subiront l'humiliation suprême de voir le mariage refusé par la fiancée le jour des noces, et la rage d'Erol restera impuissante: les petites ont choisi la liberté, et rejoindront la bonne personne qui pourra les défendre et les protéger.
Le petit cheval sauvage ne s'est pas laissé attraper.
Ce merveilleux film, illuminé par la vitalité et le charme des cinq jeunes actrices, est une belle leçon de résistance. Il nous montre un bien déplaisant visage de la Turquie traditionnelle, loin de la modernité d'Istanbul, mais après tout n'est ce pas celle qu'Erdogan appelle de ses vœux? En tous cas, il doit nous faire réfléchir sur le triste sort des jeunes filles dans tant de pays par le monde.
A voir absolument!