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Ça y est, Alonso ennuie. Le réalisateur aussi monovisage que monostyle s’en tient pour le moment à une petite décennie de création, peut-être premier déçu que son ouvrage ne surpasse pas dans l’esprit des audiences le cinéma d’art & d’essais persistant. Pourtant cette quasi-chute ne repose pas, avec Jauja, dans la répétition ou l’ennui de ses obsessions (ce qui peut sembler improbable si l’on connaît un tant soit peu sa manie des longs plans fixes, vides & muets).
J’hésite à pointer du doigt Mortensen. Le fait-même qu’il soit casté augmente l’irréalité du film, comme si ce dernier était de ces œuvres qu’on dit hors du temps, mais plus loin encore. Le voir prendre la suite des antiacteurs de Los Muertos & Liverpool semble faire du film le contenu de sa propre histoire : tandis que dans le reste de sa filmographie l’on demande à l’acteur d’Aragorn de remplir l’image, il semble ici la vider, aspirer les restes de substance qui pourraient demeurer dans l’étrange format 1.33:1, un quasi-carré où l’immobilité de la nature cède place au mouvement de l’imagination. Quand Ghita Nørby demande ce qui fait que la vie fonctionne & continue, c’est ma réponse : l’imagination. Elle sature l’image & distord le temps, transformant chaque coupure en faille dans son déroulement. Le mystique voyage dans le temps est un débouché au goût de Salt and Fire qui prend spontanément tout son sens.
Bref, sans compter que Mortensen a composé la musique, pris un faux mauvais accent en espagnol (qu’il parle en fait couramment) & corrigé les sous-titres dans plusieurs langues, il a fait le film autant qu’Alonso lui-même, contribuant à perpétuer son essence plus qu’étrange que le réalisateur n’aurait peut-être pas maintenu sans lui… et je ne sais pas si l’on doit l’en remercier.
J’ai l’impression que c’est lui qui fausse le film à une plus grande échelle, pervertissant le talent du cinéaste avec des détails trop “vrais”. J’ai seulement appris après le visionnage que Mortensen avait acheté son propre costume et s’était documenté sur l’histoire du Danemark pour son rôle, mais voilà exactement le genre de parasites matérialistes d’apparence bénins qui ont à mon sens troublé la délicate & incompréhensible alchimie de Jauja. Oui, un simple choix de casting a déterminé l’œuvre entière : elle qui semblait immanente à elle-même, elle tient sa prégnance à un élément qui lui est totalement externe : l’étrangeté trop simple d’y voir Mortensen, qui tue son aura.
Trop connu, trop formaté, trop professionnel, peut-être simplement de trop bonne volonté, il a apporté à Jauja à la fois ce qui le rend uniforme & qui l’érode, voire le transforme en une œuvre injuste envers son créateur. C’est peut-être pour ça qu’il est monovisage en posant avec l’acteur… Moralité : ne surtout pas commencer la filmographie d’Alonso par Jauja.