Steven Spielberg s’attaque à une nouvelle adaptation de la comédie musicale créée à Broadway en 1957. Elle avait déjà été portée à l’écran en 1961 par Robert Wise et Jerome Robbins. Se frotter à un tel monument était un véritable défi, même pour un réalisateur aussi chevronné que Steven Spielberg : « Ce film est probablement le plus intimidant de toute ma carrière. West Side Story est sans doute la plus grande musique jamais écrite pour la scène, et nous en étions tous conscients. C’est terriblement angoissant de revisiter un chef-d’œuvre, de le faire passer au filtre de sensibilités et de regards différents sans compromettre l’intégrité de ce qui est généralement considéré comme la plus grande musique jamais composée pour un musical. Mais je suis convaincu que les grandes histoires doivent être racontées encore et encore, en partie pour refléter à travers l’œuvre différentes perspectives et différentes époques. »
Le spectacle West Side Story a été créé par le metteur en scène et chorégraphe Jerome Robbins, le compositeur Leonard Bernstein, le parolier Stephen Sondheim et le dramaturge Arthur Laurents. La première représentation a eu lieu à Broadway le 26 septembre 1957 au Winter Garden Theater. Il y a eu en tout 732 représentations avant le départ en tournée. Ce sont Robbins et Bernstein qui ont imaginé une intrigue basée sur le conflit entre une famille catholique irlandaise et une famille juive vivant dans le Lower East Side. C’est la sortie du film de Robert Wise et Jerome Robbins en 1961 qui a transformé la pièce en phénomène.
Le West Side Story de Robert Wise et Jerome Robbins a connu un succès monumental. Il a remporté dix Oscars, pour la mise en scène, pour les rôles de Rita Moreno et George Chakiris, ainsi que pour la photographie et le montage, entre autres.
Outre les deux adaptations au cinéma, il y a eu quatre reprises du musical à Broadway et d’innombrables productions régionales dans des théâtres américains et à l’étranger, dans des salles de cinéma, des auditoriums de lycées et d’universités auxquelles s’ajoutent une version punk-rock, une version condensée dans laquelle Cher interprétait tous les rôles et même une série de représentations à la célèbre Scala de Milan !
Steven Spielberg n’a jamais caché son envie de réaliser une comédie musicale. Avec West Side Story, c’est un rêve qu’il réalise. Un projet d’autant plus personnel qu’il est fan du musical depuis qu’il est enfant : « Enfant, je pouvais chanter toutes les chansons par cœur. Je l’ai d’ailleurs fait à un dîner, jusqu’à ce que j’épuise la patience de toute ma famille. C’est comme si la partition avait toujours fait partie de mon ADN. J’ignorais encore comment, mais j’ai toujours senti que je finirais inévitablement par trouver un moyen de travailler sur West Side Story. »
Steven Spielberg a insisté pour diriger des acteurs jeunes (certains étaient encore au lycée et ont dû demander une dispense de leur établissement pour le tournage) et d’origine hispanique, contrairement au film de 1961 : « Nous avons accompli quelque chose qu’aucune des autres productions n’a jamais encore fait : avoir un casting de Sharks composé à 100 % d’hommes et de femmes latino-américain(e)s. Cette condition n’était pas négociable et c’est l’une des raisons pour lesquelles il a fallu un an pour réunir les acteurs et actrices. Il aurait été impossible, et même impensable, de faire un film West Side Story sans faire de notre mieux pour réunir une distribution et une équipe technique aux origines variées. Par bien des façons, la diversité des personnes qui ont fait ce film lui a donné sa forme et sa substance. »
Steven Spielberg a voulu souligner le contexte dans lequel les gangs rivaux ont émergé : la démolition de certains quartiers de New York et la guerre de territoires qui en a découlé. L’action du film se déroule durant l’été 1957 dans les rues des quartiers adjacents de l’Upper West Side, Lincoln Square et San Juan Hill. Au début des années 1950, Robert Moses, le commissaire aux travaux publics de la ville de New York, a fait raser toute cette zone pour construire, entre autres, le Lincoln Center for the Performing Arts et la Fordham University. À l’époque, Lincoln Square était le quartier des descendants des populations qui avaient émigré aux États-Unis au XIXe siècle, essentiellement en provenance de l’Europe. À San Juan Hill, les habitants étaient pour la plupart des Portoricains arrivés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La destruction des quartiers a chassé de chez eux la plupart des habitants de cette zone.
Steven Spielberg et Tony Kushner ont entièrement repensé un personnage – le pharmacien Doc – en le transformant en sa veuve, une Portoricaine qui se lie d’amitié avec le jeune Tony. Dès le départ, le rôle était destiné à Rita Moreno, qui a également rejoint le projet en tant que productrice exécutive. L’actrice incarnait Anita dans le film de 1961, pour lequel elle a remporté l’Oscar du meilleur second rôle. Kushner dévoile : « Nous avons écrit 25 pages d’histoire personnelle et de contexte pour Valentina, comme un mini-roman qui s’étend sur la première moitié du XXe siècle, qui commence par sa vie à Porto Rico jusqu’au moment où Tony est venu vivre dans le sous-sol de sa pharmacie. En l’écrivant, j’imaginais que je regardais une mini-série épique avec Rita Moreno. »
Ansel Elgort s’est longuement préparé pour décrocher le rôle de Tony, qu’il convoitait tant : « J’étais déjà au milieu d’un autre film quand j’ai commencé à auditionner. Mais je le voulais tellement qu’il fallait absolument que je passe les auditions. J’ai donc continué à envoyer des vidéos, à travailler avec mon coach vocal, à enregistrer et réenregistrer encore pour m’améliorer toujours davantage, si bien que j’ai fini par décrocher un bout d’essai. Mais même là, je n’ai pas obtenu le rôle. J’ai continué à travailler, en étudiant avec un coach de chanteurs d’opéra, j’ai envoyé d’autres vidéos, et enfin ça a marché. »
Rachel Zegler décroche avec West Side Story son premier rôle au cinéma. C’est par le biais d’un ami qu’elle a découvert l’annonce du casting. Elle était alors en dernière année de lycée. Elle a envoyé en janvier 2018 une vidéo d’elle interprétant en espagnol I Feel Pretty. Deux semaines plus tard, ils lui ont demandé d’en envoyer une autre où elle chanterait Somewhere et lirait quelques répliques du scénario. Puis en mars, elle reçoit un appel l’invitant à rencontrer Steven Spielberg. Ce n’était encore que le début d’un très long processus, puisqu’elle a ensuite dû tourner des essais, dont certains avec Ansel Elgort. Six mois de plus se sont encore écoulés avant que Rachel Zegler n’apprenne qu’elle était retenue.
David Alvarez, qui joue Bernardo, s’était auparavant illustré dans l’adaptation de Broadway de Billy Elliot. Quand le casting de West Side Story a débuté, il avait quitté le métier et s’était engagé dans l’armée avant de se rendre à l’université. La directrice de casting Cindy Tolan était bien décidée à le retrouver : « Nous avons bombardé ses boîtes de réception sur Facebook, Instagram, Twitter, etc. Il lui a fallu deux semaines pour répondre avec une vidéo où il s’était auditionné lui-même. »
Ariana DeBose reprend le rôle qu’interprétait Rita Moreno dans le film de 1961. Elle se souvient de leur première rencontre : « Lorsque Rita est venue pour la première fois aux répétitions, elle a regardé autour d’elle dans le studio et a demandé : “Où est la fille qui joue Anita ?” Je me suis levée et je l’ai saluée maladroitement, et elle a dit : “Toi et moi, on a des choses à se dire.” Sur le moment, je me suis sentie très mal à l’aise et embarrassée mais plus tard nous avons eu un très agréable déjeuner ensemble et avons discuté entre femmes. »
Le personnage d’Anybodys est interprété par Iris Menas, un.e comédien.ne non-binaire. La directrice de casting justifie ce choix : « Nous en avons beaucoup discuté et avons décidé que ce rôle serait mieux joué par une personne trans. Iris Menas a participé à un casting pour la danse et quand nous l’avons présenté à Steven […]. » Le producteur David Saint est certain qu’Arthur Laurents, l’auteur du livret de la comédie musicale, aurait approuvé cette décision : « Arthur était en avance sur son temps dans ce domaine. Il disait : “Anybodys est un personnage qui est un homme né dans un corps de femme.” Qu’ajouter de plus ? »
Steven Spielberg et Kristie Macosko Krieger n’ont cessé de consulter les ayants droit des créateurs originaux, c’est-à-dire les héritiers de Leonard Bernstein – les trois enfants du compositeur, Jamie et Alexander Bernstein et Nina Simmons – ; de David Saint, associé de longue date d’Arthur Laurents, qui gère son héritage artistique ; et du Jerome Robbins Estate. Les cinéastes ont également contacté le légendaire compositeur et parolier Stephen Sondheim, qui a apporté son soutien total à la nouvelle version.
Les répétitions ont commencé le 15 avril 2019, huit semaines avant le début du tournage, principalement aux Gelsey Kirkland Dance Studios dans le quartier historique de DUMBO à Brooklyn. Chaque matin, les acteurs suivaient des cours de danse classique. Les répétitions de musique allaient de pair avec le travail de danse. La coach vocale Jeanine Tesori a fait travailler l’ensemble de la distribution, en se concentrant davantage sur Rachel Zegler. À mesure que les répétitions avançaient et que la date de tournage approchait, les enregistrements musicaux et vocaux ont été réalisés en même temps que les répétitions de danse en mai et début juin à New York et Los Angeles.
Le chorégraphe Justin Peck connaissait bien le spectacle original puisqu’il a interprété Bernardo quand il avait 18-19 ans. Il a cependant décidé de ne pas réutiliser la chorégraphie originale et de repartir de zéro : « mon approche créative a consisté à chorégraphier les numéros dans leur intégralité. Je voulais que les interprètes fassent l’expérience de ce que c’était que d’aller du début à la fin d’une chanson, afin qu’ils aient une idée précise du fil conducteur et de la construction de la scène, quand bien même nous la filmions morceau par morceau. Steven Spielberg et moi écoutions la musique et faisions le découpage pour savoir comment tourner chaque section particulière de chaque numéro. Il dessinait des croquis en imaginant comment la caméra saisirait le mouvement, si bien que ses schémas sont devenus une carte dictant la façon de filmer. » Parfois, pendant les répétitions, Peck déplaçait le réalisateur, qui était installé dans une chaise de bureau à roulettes, dans le studio afin que celui-ci visualise sa mise en scène avec son iPhone.
Enseigner aux acteurs et actrices l’histoire de New York en 1957 a représenté un aspect crucial de la période des répétitions, et deux tables rondes-débats ont été organisées portant sur les faits historiques, animées par le producteur Kevin McCollum. Il a notamment été évoqué la migration massive de Puerto Rico vers les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il n’y avait plus assez d’emplois sur l’île, ainsi que le sort des descendants des premières populations de migrants et d’immigrés.
Le tournage a débuté le 10 juin 2019 et s’est achevé le 28 septembre 2019. Il était impensable pour Steven Spielberg de ne pas tourner dans les vraies rues de New York, malgré le défi logistique que cela représentait. Le chef décorateur Adam Stockhausen explique : « La toute première consigne que m’a donnée Steven a été de tourner West Side Story en extérieurs et de le rendre réel. Il m’a dit : “Filmons dans la rue pour ressentir la vie de San Juan Hill, de Lincoln Square et des personnages.” C’était un défi de taille, compte tenu de l’aspect actuel de la ville de New York. D’une manière ou d’une autre, nous avons réussi à trouver des lieux de tournage à Brooklyn et dans l’Upper Manhattan qui correspondaient parfaitement à nos objectifs. Mais nous savions devoir aussi chercher ailleurs. » L’équipe a aussi investi les villes de Paterson et Newark, dans le New Jersey
Le numéro “Dance at the Gym” a nécessité plus de 60 danseurs et plus de 150 figurants, avec une chorégraphie complexe et beaucoup d’éléments mobiles. Ce numéro a impliqué l’usage d’une spidercam, une caméra suspendue à des câbles.
West Side Story inclut une séquence, qui n’est pas dans le film de 1961, au cours de laquelle les Sharks entonnent La Borinqueña, un hymne portoricain écrit au XIXe siècle lors d’un des premiers grands soulèvements pour l’indépendance de Porto Rico en 1868. La chanson a été interdite à l’époque et le drapeau portoricain a été banni.
West Side Story est tombé sous le coup de la censure à Bahreïn, en Arabie saoudite, au Koweït, au Qatar et à Oman. La raison ? La présence d'Anybodys, un personnage supposé transgenre interprété par un.e comédien.ne non-binaire. Disney a refusé de se plier aux coupes demandées par les diffuseurs.