Le thème de la main coupée n’a rien d’inédit. Gérard de Nerval en avait fait le sujet d’une nouvelle (La Main enchantée) qui fut adaptée au cinéma par Maurice Tourneur en 1943 sous le titre de La Main du Diable. Il y eut aussi Les Mains d’Orlac, roman mi-policier mi-fantastique écrit par Maurice Renard et adapté quatre fois au cinéma. Or le film d’animation de Jérémy Clapin, film déjà acclamé à Cannes où il a reçu le Grand Prix de la Semaine de la Critique ainsi qu’à Annecy où lui ont été décernés deux Prix, ce film donc renouvelle l’approche du thème en question. Sans lui enlever son caractère fantasmagorique (difficile de faire autrement quand on met en scène une main coupée en mouvement), le cinéaste insiste sur un autre aspect, celui de la quête, de la recherche irrépressible de ce qui manque, autrement dit le corps dont dépendait la main en question. Pas de magie comme chez Nerval ni d’affaire criminelle comme chez Maurice Renard, mais la nécessité impérieuse de retrouver le corps perdu.
De ce fait, dès le début du film, on est impressionné, car la main, symbole identitaire très fort, ne se contente pas d’agiter ses doigts, mais elle se met en mouvement, s’échappe du laboratoire où elle est conservée et entreprend un périple périlleux pour aller à la rencontre du corps dont elle a été retranchée. L’organe semble être doté d’une volonté propre, ce qui ne peut manquer de déconcerter mais qui, pourtant, s’impose rapidement comme une sorte d’évidence. De quoi est capable une main toute seule, coupée des autres membres ? J’allais dire qu’elle n'a qu’une chose en tête, ce qui est absurde pour une main, et pourtant la vérité est de cet ordre : c’est comme si elle avait une pensée propre ou, en tout cas, un désir, se traduisant par l’obsession de la quête du corps manquant, ce qui fait qu’elle prend tous les risques et affronte tous les dangers, entre autres ceux du métro où elle manque de se faire écrabouiller puis dévorer par des rats !
Mais le film ne se cantonne pas à nous faire haleter en suivant les déambulations de la main. Il nous raconte aussi, en parallèle, l’histoire de Naoufel et de Gabrielle. Le premier, quand il était un petit garçon, rêvait d’être à la fois pianiste et cosmonaute ! Les deux, oui ! Malheureusement, une fois devenu un jeune homme obligé de résider chez un oncle du fait du décès de ses parents, ses ambitions sont réduites à néant. Il n’a pour tout travail que de faire le livreur de pizzas. Or c’est précisément grâce à cet emploi qu’il fait la rencontre de Gabrielle. Une rencontre qui ne se concrétise que par étapes car, au départ, le garçon, arrivé très en retard à l’adresse de Gabrielle à qui il devait livrer une pizza, n’a droit à rien de plus qu’à la voix de cette dernière, par interphone interposée. Cela donne lieu à une scène assez longue qui est, sans doute, l’une des plus belles, des plus réussies, des plus émouvantes du film.
Le seul son de la voix de Gabrielle suffit à changer la vie de Naoufel. Il n’a dès lors qu’une obsession, qui est de faire la connaissance de la jeune fille. Sa quête lui donne l’occasion de trouver un nouvel emploi chez l’oncle de Gabrielle, un emploi dans la menuiserie, bien plus valorisant que celui de livreur de pizza. Quoi qu’il en soit, pour les deux jeunes gens, commence l’histoire de la quête de l’autre. On le comprend, dans ce film, il n’est question que de cela : la main recherche son corps manquant tout comme Naoufel et Gabrielle, malgré leurs déboires, se recherchent l’un l’autre. Comment ces histoires finissent par n’en faire qu’une seule, je ne le précise pas pour ne pas divulgacher, comme disent les Québécois.
Ce qui est sûr, c’est que ce film surprenant, audacieux, mérite amplement les Prix qui lui ont été décernés. Il s’encombre de peu de dialogues, mais est servi par la beauté des images, leur précision et leur poésie. Quant au thème, ne nous rejoint-il pas tous d’une manière ou d’une autre dans la mesure où nous recherchons, nous aussi, une part manquante dont nous avons besoin pour nous épanouir ?