Plus de trois ans après Réussir sa vie, son premier long métrage, le metteur en scène Benoît Forgeard revient avec son second long, Gaz de France. Il explique ce qui a changé entre ses deux films : "Réussir sa vie était un film hybride, une sorte d’intestin, qui contenait d’autres films, sa nature était hétérogène. Depuis, j’ai eu l’occasion de connaître quelques très belles aventures, notamment plusieurs émissions musicales avec Bertrand Burgalat, constitué à cette occasion une équipe de techniciens pour le fond vert. Ces émissions m’ont parfois servi de laboratoire. Tout cela m’a mené naturellement à Gaz de France."
Le titre, Gaz de France, fait référence au sous-sol, où se passe la quasitotalité du film et également à une matière romanesque et mythologique qui constitue, pour le cinéaste, la principale ressource énergétique du pays : "Invisible, impalpable, mais capable de remplir tout l’espace."
Le film va plus loin qu'une critique en règle des manoeuvres des communicants politique : "Il serait convenu de s’en prendre à la communication politique. En écrivant, je me rendais compte que les Français jouaient volontiers un double jeu, qui s’est parfaitement ressenti dans l’enchaînement des présidents Sarkozy et Hollande, l’Hyper président, puis le président normal. Le storytelling a pris beaucoup d’ampleur au cours de ces deux mandats. Ceux qui réclamaient un président normal, se sont rapidement plaints de sa normalité, et la mythologie du grand homme est réapparue. La France est un pays d’histoires. Ses fondations sont faites de récits", explique Benoît Forgeard.
Le décor du niveau moins 2 renvoie à une sorte d’inconscient de la République qui est ainsi une inspiration d’origine surréaliste, comme le confirme Benoît Forgeard : "Le ruissellement permanent des faits nous fait oublier la part inconsciente, presque métaphysique de nos existences, et de notre existence collective, en particulier. Un président agit comme un technicien, certes, mais il agit surtout comme un symbole. C’est pourquoi son storytelling doit être de bonne qualité. Quand un candidat se présente, on devrait lui poser les mêmes questions qu’à un candidat à l’avance sur recettes. Quelle histoire comptez-vous nous raconter, et par quels moyens pensez-vous parvenir à la réaliser ? Je regrette qu’on ne prenne pas davantage au sérieux cette dimension du pouvoir politique. Sa dimension mythologique, imaginaire."
Les références cinématographiques de Benoît Forgeard sont à chercher du côté d'un cinéma lointain, mystérieux, comme celui de Franju ou de Buñuel. Mais également du côté de séries lointaines de l’INA qui laissent planer une sorte de fantastique magique et très français, comme "Le Voyageur des siècles", Noires sont les galaxies, les adaptations de Marcel Aymé ou du livre d’Adolfo Bioy Casares, L’Invention de Morel.
Si le metteur en scène aurait très bien pu raconter cette histoire de manière réaliste, il a choisi une forme de déréalisation, via l’usage du fond vert et de décors en 3D. Il justifie ce choix : "Le cinéma me semble trop souvent inféodé à ce qu’on appelle le réel. Or, il n’a jamais été question de cela. Le cinéma est affaire de représentation. Cela va peut-être vous étonner, eu égard à l’aspect artificiel de mon film, mais je ne cherche rien d’autre que la vérité. C’est pourquoi je me méfie de ce que vous appelez le réel. J’opère donc une transposition, afin de provoquer l’émergence de choses nouvelles. Au-delà de ça, je suis sensible à ce que raconte un décor virtuel sur la dématérialisation du monde. Le décor de la salle où se tient la réunion secrète au début du film, ne pèse que quelques mégaoctets. Mais si cette salle existe vraiment, les gens qui s’y croisent, pèsent-ils beaucoup plus lourd ? Enfin, il serait dommage que le recours au fond vert soit l’apanage de Hollywood."
Benoît Forgeard voulait faire son film avec un minimum d’encombrement, c'est la première raison qui l'a poussé à utiliser ce décor artificiel sur un fond vert. Ce décor lui permettait également d'avoir une plus grande marge de manoeuvre puisqu'il explique qu'au moment du tournage il n'avait qu'une idée approximative des décors qui allaient cerner les personnages.
Via ce film, Benoît Forgeard cherche à dénoncer le storytelling en posant la question suivante : Est-ce que le storytelling ne serait pas l’action politique poussée à son plus haut degré de raffinement ? Pour le réalisateur, le plus grand problème dans la politique n'est pas qu’entre les gens et la réalité des choses, il y ait constamment du récit, c'est que ce récit soit souvent mal adapté et vieux jeu.
Gaz de France peut sembler être angoissant et en même temps se présenter comme une comédie : "En écrivant ce scénario, je n’avais pas l’intention d’enchaîner les situations cocasses et les bons mots. Mon approche naturelle de la réalité est ainsi faite que je développe une distance vis-à-vis du monde. L’humour qui m’intéresse avance masqué, véhiculé par des personnages qui ne sont pas là pour la rigolade. Il est trouble. Pas trouble pour être trouble, mais parce qu’il me semble nécessaire de passer par des stratégies de contournement pour raconter quelque chose avec finesse. C’est donc un humour sophistiqué, qui fera rire entre six mois et un an après la projection. Peut-être même ne s’agit-il pas d’humour du tout", note Benoît Forgeard.