Les photographes de rue sont des photographes qui prennent leurs photos dans la rue, vous l’auriez deviné. Le résultat est plus ou moins intéressant, et on sait bien que certains d’entre eux bidonnent un peu, comme Robert Doisneau avec son Baiser de l’Hôtel de Ville, pas du tout pris sur le vif comme on l’a longtemps cru, mais qui était posé, sur les instructions du photographe !
Ce film co-réalisé par John Maloof, qui se montre plus qu’abondamment, raconte comment lui-même, en 2007, a mis la main sur un stock de négatifs – plus de cent mille – pris par une photographe non professionnelle d’origine française, Vivian Maier, et a œuvré pour faire connaître les tirages qu’il en a fait ou fait faire. C’est parfois assez beau, souvent quelconque, car cette femme photographiait absolument tout ce qu’elle voyait – or le spectacle de la rue, ne faisons pas d’angélisme, n’est pas constamment exceptionnel.
Le plus étonnant est l’existence même de mademoiselle Maier. Née en France, dans un village des Alpes, elle émigre aux États-Unis, ne se marie jamais, n’a aucune vie sociale, et gagne son pain en exerçant le métier de gardienne d’enfants. Métier qu’elle exerce fort mal, car on nous révèle peu à peu qu’elle battait les enfants, les forçait à manger (l’une de ses victimes est devenue obèse), ou les abandonnait quand elle était censée les promener, quand elle ne les entraînait pas dans des quartiers risqués. Si bien que plusieurs de ses victimes rapportent sa méchanceté, et qu’une des mères de famille raconte comment elle a dû la licencier. Sans travail, elle a fini dans la misère.
L’autre aspect curieux est que, si le public a fait un succès aux photos prises par cette femme, aucun musée important ne semble les avoir acceptées. Explication avancée, et pas tout à fait honnête : les musées préfèreraient les artistes devenus célèbres de leur vivant, un artiste mort inconnu ne les intéresserait pas...
Mais enfin, ce film-ci reste inférieur à un documentaire de la BBC, "Vivian Maier: Who took Nanny’s pictures?", sorti auparavant, et qui révèle que Maloof fait surtout du business, entend garder le monopole sur les fameuses photos (puisqu’ils les a achetées), et que ce placement est financièrement très lucratif pour lui. D’ailleurs, dans son film, il ne montre aucune photo que le documentaire en question n’ait pas déjà montrée ! Il n’explique pas non plus quelles influences ont pu s’exercer sur Vivian Maier, comme celle d’Henri-Cartier Bresson, des surréalistes, ou de Salvador Dalí, qu’elle a croisé. Et si la première partie de son film fait l’éloge de Vivian Maier, la seconde partie est une démolition en règle, attribuant tous les défauts possibles, sur le plan privé, à la même femme. On en vient à soupçonner que l’auteur du film vise un but personnel : sachant que la photographe n’avait aucune famille, aucun héritier, et que Maloof, acheteur de sa production, est le seul qui puisse bénéficier des retombées financières de sa soudaine célébrité, il a en effet intérêt à ce qu’aucun musée ne profite de l’aubaine.