Vivian Maier est morte inconnue il y cinq ans, le 21 avril 2009. Deux ans auparavant, John Maloof avait acheté quelques tirages et un lot de 30 000 négatifs vendus aux enchères. 30 000... Juste une partie de l'oeuvre de Vivian !
John Maloof est l'homme de la situation. Le temps de la prise de conscience et c'est le choc : l'auteur est un photographe extraordinaire, un génie de la photo ! Alors, il recherche les autres acheteurs de cette désormais fameuse vente aux enchères et entreprend de récupérer une grande partie du trésor égaré (il y a d'autres heureux détenteurs). Ce n'est que plus d'une année après son aventure en salle des ventes, en découvrant l'enveloppe d'un labo photo dans l'un des nombreux cartons récupérés qu'il apprend enfin le nom de celle qui bouleverse déjà sa vie : Vivian Maier.
En 2009, la découverte d'un faire-part sur internet lui apprend la toute récente disparition accidentelle de celle qu'il recherche. Ses auteurs, John, Lane et Matthew Gensburg, avaient été élevés et émerveillés par la nounou Vivian Maier pendant 17 ans – c'était le métier alimentaire qu'elle exerçait – et ils avaient veillé sur elle durant ses dernières années.
Le film soulève beaucoup de questions auxquelles il ne répond pas, et le mystère semble grandir au fur et à mesure que l'on en découvre plus. Par exemple : pourquoi la famille Gensburg n'apparaît-elle pas dans le film ?
Vivian Maier prenait des photos de rue, des photos des autres, avec passion, avec une sensibilité exacerbée et un sens exceptionnel de l'image - sans retouche : elle n'a pas vu la plupart de ses photos parce qu'elle n'avait pas les moyens de les développer, de les classer, de les exploiter... Mais elle ne se livrait guère, ou n'en avait pas l'occasion, n'a pas trouvé les bonnes personnes avec qui partager, et est restée énigmatique pour presque tous ceux qui l'ont connue.
En dépit de l'extraordinaire personnalité de Vivian Maier, sa situation de nounou doit expliquer beaucoup de son mystère. Le film nous montre des témoins qui, en plusieurs moments, trahissent leur inattention, voire leur condescendance, sinon plus vis à vis de Vivian Maier, de sa "condition sociale" et de son travail. Il est manifeste que, pour plusieurs, Vivian était un "petit personnel", certes original, mais à peu près transparent.
Faut-il le préciser ? La plupart du temps, Vivian Maier était en situation de dépendance – nounou, elle était objectivement dominée - c'est à dire en inhibition de l'action malgré une créativité qui ne pouvait tout compenser. Cela doit expliquer assez largement pourquoi elle n'a jamais trouvé l'occasion, et, plus encore, la force de montrer son travail. Peut-être l'a-t-elle désiré, projeté... Sans jamais pouvoir. Mais peut-être l'a-elle fait et n'a-t-elle pas été encouragée.
Peut-être a-t-elle espéré jusqu'au bout...
Justement, un fait rapporté par l'une des témoins prend de plus en plus d'importance et finit par obséder. Celle-ci est la mère d'enfants amis avec ceux qui étaient aux bons soins de Vivian (les frères Gensburg ?). Elle croit maintenant avoir été la seule amie que Vivian Maier ait eu et avoue l'avoir rencontré, au hasard d'une promenade, trente ans après l'avoir perdue de vue. Et, là, parce qu'elle est avec des gosses qui ne tiennent pas en place, parce qu'il fait chaud, parce que le programme de la journée... pour des motifs futiles, des prétextes auxquels elle se raccroche aujourd'hui, elle s'éloigne tandis que Vivian Maier la supplie de lui prêter attention en invoquant leur amitié.
Cette curieuse "amie" ne reverra jamais Vivian Maier. Car elle n'a même pas proposé un rendez-vous, même pas pris son adresse, puis elle ne l'a pas recherchée, rien ! Pourtant, elle avait perçu que Vivian Maier devait être dans la difficulté. Peut-être cela explique-t-il l'attitude de cette "amie"... Aurait-elle agi de même avec une personne épanouie - avec une autre personne de "sa condition" ?
Vivian Maier a été très seule, comme effacée dans un monde qu'elle observait avidement. L'attachement de la famille Gensburg n'a pas suffit à vaincre les inhibitions de toute une vie sans soutien. Elle était trop isolée pour pouvoir se réaliser tout à fait. Mais cette solitaire nous a fait le cadeau d'un amour immense pour le monde !
Comme avec Séraphine Louis Maillard *, dite Séraphine de Senlis (1864–1942), qui fut bergère puis bonne à faire les travaux les plus durs, et négligée voire méprisée par son environnement social, une interrogation s'impose :
- combien d'autres qui ne sont jamais découverts, dont l'oeuvre est jetée aux ordures et la mémoire effacée ?
AC Galtié