Behn Zeitlin, auteur de la plus grande claque de 2012 avec ‘Les bêtes du sud sauvage’, avait disparu de la circulation depuis ce one-shot magistral, sans recevoir les récompenses qu’il méritait et sans même chercher à transformer l’essai en profitant de sa reconnaissance critique toute neuve. En réalité, il peaufinait simplement son second projet, une adaptation personnelle de Peter Pan : un conte de fées moderne, toujours ancré dans ce réalisme magique qui lui est cher. Toujours convaincu que le seul moyen d’insuffler la magie au sein d’un monde tristement fini repose sur la façon dont on l’observe et dont on restitue ce regard et en aucun cas sur les facilités numériques, Zeitlin s’obstine à nous faire croire qu’une île rocailleuse et inhospitalière peut bien figurer Neverland et un vieux rafiot rouillé, le galion des pirates. Le pire, c’est qu’il y parvient une fois de plus remarquablement bien, en procédant avec adresses, par petites touches et sans insistance : un reflet de lumière saisi au vol, une grotte sous-marine aux stalactites curieusement alignées, un enfant au sourire de lutin, le terrain est minutieusement préparé pour que l’inexplicable soit ensuite accepté sans qu’on y trouve à redire lorsqu’il s’invite sans crier gare dans le récit. On retrouve un peu du côté bricolé des films de Terry Gilliam mais sans les excès baroques, sans la croyance forcenée qui n’a jamais quitté ce réalisateur qu’il devant être possible d’obtenir un rendu de superproduction avec quelques bouts de ferrailles et de bois. Lors de sa sortie américaine, Il fut toutefois reproché à ‘Wendy’ une certaine naïveté, avec cette symbolique lourdingue d’enfants sauvant le paradis terrestre du scepticisme des adultes (ici plus clairement représentés que jamais comme des “anti-enfants”) : honnêtement, je ne l’ai pas perçu comme ça, ou peut-être ai-je préféré ne pas le voir…mais j’ai retrouvé dans ce film l’essence de ce qu’était le point de vue original de J.M. Barrie, un conte dur, hanté par la mort, tout le contraire de ce que Disney a essayé de nous faire croire, dans lequel Peter Pan n’est pas un gentil enfant sauvage mais un parangon d’égoïsme, de refus d’assumer ses actes et de cruauté juvénile,...et c’est ce qui explique qu’on a aussi parfois l’impression de voir, dans cette histoire qu’on croyait bien connaître, comme un parasitage par “Sa majesté des mouches”. Quoi qu’il en soit, après la spontanéité géniale de son premier film, pour lequel tous les astres s’étaient miraculeusement alignés, il semblait évident que Zeitlin ne pourrait pas réussir un doublé gagnant, surtout en tentant de reproduire consciemment la recette (jusqu’au point de tenter de dénicher une nouvelle jeune actrice débutante au charisme affolant : Devin France après Quvenzhané Wallis) . ‘Wendy’, avec son peu de moyens et les contraintes visuelles qu’il s’impose, n’en reste pas moins une adaptation de Peter Pan infiniment meilleure que celle de 2003 et celle de 2015, pourtant fort luxueuses, même si le plaisir subjectif qu’on en retirera variera énormément d’une personne à l’autre : ni symbolique, ni militante, ‘Wendy’ est avant tout une expérience sensorielle.