Bien que le film Les Poings dans les poches ne soit pas assimilé à une oeuvre ouvertement politique, il reste malgré tout considéré comme une oeuvre prophétique sur la révolte étudiante qui balaya l'Europe à la fin des années soixante, et aussi vu comme un manifeste de première importance dénonçant la paralysie et les inégalités des classes sociales. "La rage se muant en meurtre d'une mère et d'un frère était en un sens très synchronisée avec cette époque où tout ou presque était sur le point d'exploser. La révolte des étudiants en 1968, qui a perduré en Italie jusqu'en 1977, a ébranlé les fondements même de la société italienne; sans doute encore plus qu'en France. Cela commença dans les Universités, où les oppositions contre les professeurs fleurirent. Puis la contestation porta sur l'Etat, les partis politiques, la famille et l'Eglise Catholique" dira Marco Bellocchio en 2009. Tous ces thèmes seront d'ailleurs au coeur de ses films suivants, La Chine est proche et Au nom du père en 1971.
"L'énorme avantage des premiers films" a déclaré Marco Bellocchio, "c'est que vous n'êtes personne et que vous n'avez pas d'histoire; donc vous avez la liberté de pouvoir tout tenter et prendre un maximum de risques". Premier film du metteur en scène, Les Poings dans les poches reste encore aujourd'hui considéré comme le chef-d'œuvre du cinéaste. A sa sortie en Italie en 1965, le film fit l'effet d'une bombe. Rarement un film était allé aussi loin dans la provocation, en abordant les thèmes de matricide, fratricide, inceste, moqueries ouvertes contre l'Eglise et la famille, dans une Italie extrêmement marquée par la religion, les valeurs familiales et les canons imposés par le cinéma néo-réaliste. Présenté en avant-première au Festival International du film de Locarno, l'accueil du film fut pourtant très élogieux, y compris -très étonnamment- par l'establishment catholique, qui y a surtout vut une "simple" rébellion et mal être d'un adolescent sans gravité. Mais le film s'est aussi attiré les critiques très bienveillantes de Luis Buñuel et Michelangelo Antonioni, qui sont les deux réalisateurs que Marco Bellocchio admire le plus.
Dans Les Poings dans les poches, Marco Bellocchio voulait dresser le portrait d'un adolescent prisonnier de son mal-être, attribuant ce dernier à ses parents, à sa naissance, à son passé. "L’expérience d’Alessandro est assez commune, je veux dire que n’importe qui comparant sa propre adolescence à celle d’Alessandro, peut trouver des points communs" explique Marco Bellocchio. "Qui ne s’est toujours efforcé de considérer sa mère, ou n’importe quelle autre personne, dans toute sa complexité, en voulant que sa propre affection, sa propre compréhension, l’investisse totalement, sans en négliger aucun aspect, aucun petit côté, aucune mauvaise habitude? Naturellement l’expérience d’Alessandro l’amène à des résolutions extrêmes et elle est, dans la pratique, difficilement comparable à la nôtre ; ce qui reste commun, c’est la volonté, toujours semblable, de l’adolescent qui veut trouver des raisons à sa propre impuissance et se décharger ainsi de toute responsabilité personnelle".
Marco Bellocchio se souvient de l'époque où il fit le casting des Poings dans les poches, porté notamment par le jeune acteur suédois Lou Castel. "Un auteur pouvait choisir son interprète selon le critère appelé néoréaliste ; il lui fallait alors partir dans la foule, à la chasse d’un visage qui corresponde, dans sa physionomie, à l’idée qu’il s’était faite du personnage. Dans la plupart des cas, ce dernier était le représentant typique d’une catégorie ou d’une classe, il était donc choisi souvent selon l’idée conventionnelle qu’en avaient l’opinion publique et l’auteur lui-même. Cela s’expliquait : ce cinéma devait dénoncer rapidement une réalité italienne, où le public se reconnaisse immédiatement, et dont on ne pouvait parler pendant tout le fascisme." Et d'ajouter : Souvent à un visage ne correspond pas le tempérament qui lui est associé conventionnellement, et, d’autre part, le même visage ne doit pas nécessairement révéler un tempérament qu’on associe d’habitude à une tout autre ressemblance de l’intérieur : le seul visage ne qualifie rien ni personne. C’est sur ce critère que j’ai choisi les acteurs de mon film, en ayant toujours à l’esprit qu’il n’existe jamais pour chaque personnage un unique acteur idéal. ".
Pour tourner Les Poings dans les poches, Marco Bellocchio emprunta de l'argent au sein de sa famille. "J’ai choisi de réaliser Les poings dans les poches parce que je savais que j’en avais les possibilités financières. Sujet, adaptation, continuité furent coupés sur mesure selon l’argent dont je pouvais disposer" dira-t-il près de 45 ans après le tournage du film qui l'a révélé au public et à la critique. "Il n’est sûrement pas inutile de faire un film qui ne remporte pas de succès commercial, mais ça l’est à coup sûr d’écrire un scénario qui n’est pas réalisé ensuite, même si c’est simplement comme exercice professionnel, parce qu’il n’y a que le film qui peut en faire ressortir les qualités et les défauts".
La maison où se déroule l'histoire des Poings dans les poches est en réalité la propre maison du réalisateur Marco Bellocchio où il passa son enfance.