On dit que Emir Kusturica a changé, qu’il devenu nationaliste serbe, orthodoxe, mégalomane. On dit aussi, en liant ou pas les constats, que son cinéma a perdu une bonne partie de son intérêt. On pourrait accorder un certain crédit à ce jugement, après avoir vu ce dernier film qui ne laissera sans doute pas de traces durables dans la cinématographie mondiale...mais le paradoxe est que l’art et la vision de Kusturica n’ont, eux, pas beaucoup changé : le réalisateur recourt toujours à l’aventure picaresque pour révéler et ridiculiser la folie des hommes. Kusturica est cette fois le héros de sa propre fable, cet hurluberlu qui fuit à travers les Balkans avec la femme dont il est amoureux, laissant derrière lui la guerre, une mariage de convenance et des tueurs lancés sur sa piste, et aussi un âne, un faucon, des oies, des poules et des serpents qui boivent du lait pour faire bonne mesure. Enfin, au bout d’un moment, de toute façon, on ne comprend plus grand chose à ce foutoir tragi-comique, comme si Kusturica étendait la frénésie et le chaos de ses incontournables scènes de mariage à la yougoslave, avec leurs coups de feu, leur polka endiablée et l’alcoolisation galopante des convives, à toute la durée du film...mais au fond, on ne regarde pas un film de Kusturica dans l’optique d’un spectacle calme, apaisé et aisément compréhensible : ‘On the milky road’ renferme suffisamment d’éléments périphériques, drôles, beaux, étranges, originaux ou fantaisistes, pour capter l’attention, même si cette fois, l’équilibre est singulièrement bancal. Kusturica fait partie de ceux qui, en l’espace de cinq minutes, peuvent illustrer un événement dramatique avec une grande sensibilité poétique, glisser deux mots sur l’histoire, l’art ou la philosophie et s’amuser dans la foulée de gags puérils. Surtout, c’est le genre de type qui prend la peine d’échafauder une tonne de péripéties bordéliques jusqu’à l’écoeurement, juste pour avoir l’occasion d’y glisser quelques scènes dont il sait qu’elles frapperont l’imagination du public et resteront gravées dans sa mémoire. En cela, il s’approche un peu de la logique d’un Alejandro Jodorowsky, et ce n’est pas forcément un mal.