Mercredi dernier sortait "Quay d’Orsay". J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette première et réjouissante comédie de l’ogre Tavernier. Le film devrait trouver son public. Avec ses 499 salles, il est en tout cas bien armé pour ça. Coïncidence, sort la même semaine "Mes séances de lutte", le nouveau film de Jacques Doillon. Un autre vétéran du cinéma français, plus prolifique encore : un film par an, ou presque. Le cinéaste avait disparu un moment des écrans radar, une absence plutôt inquiétante, qu’on craignait même définitive, mais il a fait son come-back et repris le rythme des ses livraisons. Contrairement à un Tavernier qui embrasse tous les genres, Doillon creuse un peu toujours le même sillon. La seule chose qui l’intéresse, c’est d’ausculter les sentiments. Le trafic des sentiments plutôt, l’expression est de lui. Et film après film, imperturbable aux modes, il creuse un peu plus. En fait, c’est une œuvre qu’il construit. Avec, de loin en loin, d’authentiques chefs-d’œuvre : "La Drôlesse", "La Pirate", "Le Petit Criminel", "Ponette"… La direction d’acteurs, on le sait, est une grosse blague. Sauf chez Doillon. Pratiquée à ce niveau là, c’en est même une science. Les plus grandes comédiennes (Isabelle Huppert, Nicole Garcia, Béatrice Dalle..) se sont précipitées chez lui, sûres d’y trouver des partitions qu’on ne leur proposerait nulle part ailleurs. Dialoguiste étincelant, Doillon sait décrypter comme aucun autre nos émois, nos calculs, nos lâchetés. "Mes séances de lutte", son nouveau film, sort sur 31 écrans. Cherchez l’erreur ! Quand l’offre est aussi restreinte, quand un film est aussi peu visible, quelles chances a-t-il de cristalliser le désir, de rencontrer le public ? Je pose la question. "Mes séances de lutte" est pourtant le film le plus singulier que Doillon nous ait proposé depuis longtemps. Une œuvre très originale, presque détonnante dans sa filmographie, et qui mérite vraiment le détour. Doillon y met aux prises (littéralement aux prises) 2 amoureux en puissance qui n’ont juste pas les mots. Et qui vont troquer les joutes verbales contre la bagarre physique. Le résultat est un truc étonnamment joyeux, souvent burlesque. Assez profond aussi. Pour la première fois au cinéma (un cinéma pour le coup très chorégraphique) on ressent combien il faut parfois s’attraper, s’étreindre, avant que de se prendre. Se battre, se défendre, avant de se donner. Dis comme ça, je sais, c’est assez con. Mais le film est très fort. Et la grâce féline des acteurs y est pour beaucoup : James Thierrée, si rare au cinéma, et dont la puissance fait ici merveille, et Sara Forestier, qui depuis "L'Esquive" et après "Le Nom des Gens" ou "Une Nuit", s’affirme comme une de nos comédiennes les plus passionnantes. Allez voir "Mes séances de lutte". Doillon, le vieux soixante-huitard, en a encore sous le pied !