1987, des incendies ravagent des milliers d'hectars de forêts au Texas.
Un an plus tard, Alvin et le frère de sa petite amie, Lance, sont chargés d'y rétablir la signalisation des routes et errent des journées entières à peindre des bandes jaunes sur l'asphalte au milieu d'une nature désertique en pleine renaissance.
A priori, on ne peut pas faire plus différents que ces deux-là : Alvin adore ce job solitaire qu'il a pris pour subvenir aux besoins de son couple en vue d'une nouvelle vie et se retrouver là lui donne l'impression d'être un "homme de la forêt" capable de tous les exploits, Lance, lui, au crépuscule de sa jeunesse ne rêve que de retourner en ville le week-end pour "tremper son biscuit". Pourtant, aux travers de scènes contemplatives aux dialogues épars mais toujours lourds de sens, on va vite comprendre que ces personnages sont ensemble coincés dans une forme d'insouciance stagnante dont ils n'ont pas conscience (surtout Alvin).
Ils ont oublié que le temps défile et fait son oeuvre dévastatrice sans les attendre. Certes, Lance l'a saisi mais ne sait pas trouver un sens des responsabilités qui lui servirait de boussole pour y remédier, se contentant de mésaventures futiles que son collègue prend un malin plaisir à écouter. Et, du côté d'Alvin, un dur retour à la réalité sera nécessaire pour qu'il se rende compte de sa situation perpétuelle de fuite face à son couple.
Il leur faudra un certain temps pour saisir que les choses essentielles de leurs vies respectives disparaîtront tôt ou tard s'ils n'agissent pas pour elles, la réalité reprendra son dû de rêves à un moment ou à un autre et se rappellera toujours à eux -à nous- de la manière la plus abrupte.
Ce difficile réveil prometteur d'un passage tardif à l'âge adulte, David Gordon Green le filme avec une vraie tendresse pour ses personnages. D'ailleurs, il ne le fait intervenir qu'en bout de course, nous laissant avec un certain sens du burlesque implicite pour mieux juger -et nous amuser- du comportement infantile d'Alvin et Lance (la scène de la confrontation et de la bagarre de grands enfants qui s'ensuit) au milieu de séquences beaucoup plus profondes et souvent magnifiques. L'apparition de la vieille dame fantomatique recherchant inlassablement son brevet de pilote dans les débris de sa maison ("Tout cela c'est un peu comme des souvenirs de ma vie, j'ai l'impression de chercher dans mes propres cendres" dira-t-elle) est un des points culminants émotionnels du film tout comme cette retranscription téléphonique d'une rupture amoureuse illustrée par une route qui défile jusqu'à l'inévitable crash.
David Gordon Green a parfois tendance à égarer un peu trop sa caméra dans la nature (il n'est pas un des fils spirituels de Terrence Malick pour rien) mais ces plans portés par la magnifique bande originale onirique d'Explosions in the Sky participent au charme de ce "Prince of Texas". Et il y a bien sûr ce duo parfait de comédiens, véritable plus-value du film, Emile Hirsch et Paul Rudd, des acteurs à l'aspect faussement juvénile qui épousent autant physiquement que spirituellement les contours de leurs personnages.
"Prince of Texas" se révèle donc être une virée existentielle réussie dans les forêts meurtries du Texas se ressentant aussi comme une renaissance cinématographique pour David Gordon Green, réalisateur talentueux qui s'était inexplicablement enfermé dans des comédies futiles (hormis "Délire Express"). La preuve, il passera encore à la vitesse supérieure quelques temps plus tard avec la claque "Joe".