Rock the Casbah devait se tourner initialement à Casablanca, mais c’est à Tanger que le tournage s'est déroulé pour des raisons techniques. Au final, ce choix appuie le message de liberté que le film cherche à véhiculer, comme le précise l’actrice Lubna Azabal : "Le Tanger de la Belle Époque, cette mémoire d’un Maghreb insouciant, pas encore claustrophobe, quand Paul Bowles et les Rolling Stones y avaient posé leurs valises et que les femmes se promenaient en mini-jupes et fumaient dans la rue. On oublie trop souvent que cette période a existé."
La réalisatrice Laïla Marrakchi et l’actrice Morjana Alaoui sont cousines. Cette dernière a même démarré sa carrière dans Marock, le premier long-métrage de la cinéaste : "Le fait d’appartenir à la même famille est parfois un gros atout parce que l’on se connaît et que l’on se comprend mieux", précise la comédienne.
L’idée du film Rock the casbah est née suite à la mort de l’oncle de Laïla Marrakchi : "J’ai vécu trois jours de funérailles très émouvants durant lesquels j’ai découvert les femmes de ma famille sous un autre jour". La comédienne Morjana Alaoui (Sofia) ajoute : "Petit à petit, le scénario a évolué. Il s’est dégagé de notre histoire familiale, il a pris son indépendance. J’ai commencé à considérer Sofia comme un vrai personnage et non plus comme la réplique de la femme que j’avais pu être."
Les actrices principales de Rock the Casbah vivent aux USA, en France, au Liban, et en Israël : "Depuis le début, je ne voulais pas m’enfermer dans un casting 100% marocain. L’idée d’un casting panarabe me permettait d’élargir mon sujet à l’ensemble du monde arabe", explique Laïla Marrakchi, en précisant que le film est une quête d’identité et qu'elle a voulu offrir à toutes ces femmes une identité commune.
Les actrices et la réalisatrice ont toutes vécu ensemble pendant le tournage du film : "Le fait de vivre en communauté durant plus d’un mois a beaucoup contribué à nous souder. Nous petit-déjeunions, déjeunions et dînions ensemble. Nous habitions au même endroit. C’est très précieux sur un tournage : on se sent en famille et la complicité qui se développe hors plateau se sent à l’écran", explique la comédienne Nadine Labaki.
Le tournage n’a duré "que" 33 jours, mais la précision et la volonté de Laïla Marrakchi ont permis de passer outre cette contrainte : "Je voulais revenir à ce cinéma qui m’avait fait rêver, jeune, quand il était possible de prendre le temps de faire de beaux plans, de proposer de longs plans séquences, de raconter une histoire, d’observer les personnages."
Les 4 personnages féminins du film constituent une référence au titre "Four Women" de Nina Simone dans laquelle la chanteuse présente 4 femmes aux caractères différents. Sarah, qui souffre et prend sur elle-même, Saffronia, coincée entre deux mondes mais qui l’accepte, Sweet thing, qui mise tout sur son physique, et enfin Peaches, amère, qui se bat. C’est d’ailleurs la chanson "Wild is the Wind" de Nina Simone qui devait à l'origine servir pour la scène d’introduction du film, avant que Rob ne compose la BO.
Après Marock qui pointait du doigt un conflit générationnel très marqué, Laïla Marrakchi dénonce ici la condition des femmes arabes et "leurs tiraillements entre tradition et modernité". La mort du père de famille autour de laquelle les gens se rassemblent n’est pas anodine, comme le souligne la cinéaste, puisque "ce décès symbolise la fin d’une époque."
Rock the Casbah et ses non-dits renvoient au film Tetro de Francis Ford Coppola, dans lequel un homme part vivre en Argentine pour fuir sa famille, et plus précisément la tyrannie imposée par son père. Lorsque son frère le retrouve 10 ans plus tard, les langues se délient et la situation vole en éclats.
Nadine Labaki et Hiam Abbass (Miriam et Aicha) sont également réalisatrices et ont déjà traité des sujets similaires à ceux présents dans Rock the Casbah : Caramel en 2007, qui est un hymne à la féminité mettant en scène cinq femmes libanaises dans un institut de beauté et Héritage en 2011 qui retrace l’implosion d’une famille palestinienne dont le père est dans le coma.
Rock the Casbah de Laïla Marrakchi n'est pas à confondre avec Rock the Casbah de Yariv Horowitz sorti début mai de la même année. Plus précisément, le long-métrage de Laïla Marrakchi dénonce la condition des femmes arabes alors que celui de Yariv Horowitz pointe du doigt l’absurdité du conflit israélo-palestinien. Mais pourquoi ces deux films, pourtant différents, portent ils le même titre ?
Pour comprendre, il faut remonter en 1979. Suite à la révolution iranienne qui précède la chute du Shah, l’Ayatollah Khomeiny prend le pouvoir. Le pays bascule vers une république islamique et la musique Rock est bannie. Le groupe de Punk britannique The Clash répondra à cette interdiction en 1982 avec la chanson "Rock the Casbah". Cette dernière, une des plus connues du groupe, est aujourd’hui devenue une expression qui pourrait se traduire par : désobéir pour une chose que l’on croit juste.
Laïla Marrakchi illustre cet adage à Tanger, ville qui accueillait autrefois de nombreuses stars du rock comme les Rolling Stones ou Jimi Hendrix. Les femmes d’une famille se réunissent suite à la mort du patriarche, allégorie d’une époque révolue. Chaque femme vit différemment son rapport à la tradition et la cellule familiale finit par imploser. Si la cinéaste prône ici l’émancipation de la femme, pour Yariv Horowitz, Rock the Casbah trouve également son sens dans la paix et la tolérance. Il met ainsi en scène 4 soldats israéliens, contraints de camper sur le toit d’une famille palestinienne lors d’une mission à Gaza.
Ces deux films se déroulent dans un pays déchiré entre l’envie de faire souffler un vent nouveau et une doctrine profondément ancrée, théâtre malgré lui d’un choc des genres, des cultures ou des générations.