C'est difficile d'écrire la critique de son film préféré, très difficile, plus encore lorsqu'il m'a arraché encore hier soir des larmes qui ne s'arrêtaient plus de couler, de tristesse et de joie mêlée. Et, à vrai dire, les sensations qu'il peut procurer sont si intimes que si l'on a aimé, on ne veut pas en parler, et je ne l'aurais pas fait si je n'avais pas vu une telle dureté sur ce site de la part des spectateurs qui sont venus s'exprimer.Je ne sais pas si ce film est plein de références ou non, à vrai dire, je ne les connaissais pas. Tout ce que j'ai pu voir, c'est qu'il est le manifeste d'un nouveau romantisme. Les sentiments humains y sont exacerbés comme jamais, le ressenti est toujours au centre de chaque plan : la danse tremblante de la Chienne, le passage entre les bras et les bouches de la Star dans le noir (ou plutôt le bleu), la promesse de l'amour éternel pris dans un tableau magique et lumineux... On reproche à ce film d'être du théâtre et non pas du cinéma. C'est à peu près le même argument qu'on utilise quand on veut dire à quelqu'un qu'il est un homme alors qu'il a changé de sexe pour être une femme ou lorsqu'on dit à un bisexuel qu'il a forcément une préférence. Je ne comprends quel sens cela a. Ce film, c'est à la fois du théâtre et du cinéma, d'ailleurs, la distribution mélange acteurs de théâtre (Kate Moran et Niels Schneider) et acteurs de cinéma en leur donnant d'ailleurs des rôles tout à fait différents. Donc, oui, avec Rencontres d'après minuit, on a le droit d'aimer les deux.Les couleurs, le choix des lumières, ne sert que le propos, rien que le propos. Le sens se dégage de chaque intervention, de chaque parcours, de chaque sensibilité exprimée par les différents personnages : Nous sommes seuls dans une jouissance enfermée en nous-mêmes (la Chienne), Nous avons l'impression d'être étrangers à nous-mêmes, de sentir que notre corps ne nous appartient pas (L'étalon), Nous voulons être aimés pour toujours, au delà des temps et au delà de la mort (Matthias), Nous voulons créer une famille, une famille qui ne se sépare pas, où l'amour nous lie, qu'on soit deux ou qu'on soit trois (Ali), Nous voulons éprouver des sensations jusqu'au bout, qu'on ne nous enterre pas vivants (la Star), Nous voulons apprendre, ressentir, ne pas savoir où l'on va se retrouver (l'adolescent) et enfin, nous voulons pouvoir être nous-mêmes, prendre un rôle, l'abandonner, changer et rester toujours le même (la bonne).S'il doit se dégager un sens général, si je parviens à le résumer, car je crois que le mental est impuissant face à ce film : Nous sommes d'abord seuls, mais nous pouvons recevoir dans notre solitude d'autres coeurs, et leurs battements communs forment la musique d'un être plus puissant, plus grand, plus beau. Rappelez-vous Alfred de Musset, cette si célèbre tirade de Perdican : "Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : " J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui."Ces quelques mots, résumé si dense et intense de ce qu'est le romantisme est réinvesti par Yann Gonzalez avec une autre idée, nouvelle cette fois : c'est que dans notre époque, l'idéal ne peut plus être cette simple union de deux êtres. Que cette union a été altérée, gâchée par trop de mensonges, d'intérêts, de normes et de narcissisme excluant. Et si elle a précipité notre perte, cette union, c'est simplement parce qu'elle excluait tous les autres, qu'elle se réfugiait sur une île où il faut sans cesse faire la guerre contre le monde. Le romantisme n'est pas l'affaire de deux personnes : c'est une chorale perpétuelle entre des êtres qui s'aiment et se comprennent, qui se touchent ou ne se touchent pas, mais qui demeurent ensemble dans leurs coeurs. La solitude est une belle chose quand elle comporte sept corps qui vibrent avec la même intensité, au coeur même de la beauté.Non, il n'est pas question de partouze. C'est un mot révoltant, atroce, insultant - comme "tantouze" -, à la sonorité abjecte qui comporte un crachat intégré. De sexe, oui ; d'attente ; d'espoir, de sensation. Les Rencontres d'Après minuit, c'est la promesse de chair et la découverte de spirituel. Car l'esprit est dans le corps et non hors du corps, ils battent tout deux d'une même vie. Ce film le montre avec sensibilité et patience, et sans doute il est difficile de le voir malgré tous les efforts faits pour choisir des images qui parlent, une musique qui invite à cette écoute de l'âme. Mais on ne veut pas toujours plonger sous les eaux, et parfois on préfère rester à la surface, comme le disait Oscar Wilde, le public est merveilleusement tolérant, il pardonne tout, sauf le génie.Et finalement, tant mieux. Tant mieux, car on se sent privilégié, au fond, privilégié de pouvoir ressentir autant et aussi fort : voici ce que ces personnages se disent, surtout. Merci à vous tous d'être là ce soir, ensemble, et de pouvoir ressentir aussi fort. Ils se sont réunis pour du sexe, mais ce n'était pas cela qu'ils cherchaient au fond. Et peut-être, cette chose qu'ils cherchaient, cette chose que le réalisateur a tenté de nous montrer, on pourrait la rebaptiser l'amour.Mais tout ceci, tout ce que j'ai écrit, n'est jamais que la pointe de l'iceberg. Les sensations les plus profondes sont celles qui ne se disent pas ; car elles hurleraient mille choses et en chuchoteraient mille autres en même temps, et notre oreille ne peut les entendre.