Avec 700.000 personnes/jour la fréquentant, la gare du Nord parisienne est la première gare d'Europe : métro, RER, trains de banlieue et grandes lignes - bus en appoint. Restaurants, cafés, commerces aussi, dans l'enceinte-même. Une fourmilière, des personnes très diverses, en transit, en partance, arrivant, voire s'attardant, y zonant, s'y affrontant, y trafiquant. Y travaillant, aussi. Même y mourant. Des riches, des pauvres (et même misérables) : de l'homme d'affaires empruntant l'Eurostar au petit dealer ou au mendiant rom, du banlieusard besogneux au touriste insouciant.... On s'y croise, on s'y frôle, dans l'indifférence réciproque, mais on peut aussi y faire connaissance, s'y affronter, s'y perdre, s'y retrouver, s'y aimer.
La documentariste Claire Simon (qui scénarise, en collaboration, et assure la direction de la photo également) réitère dans le sens de "Les Bureaux de Dieu", sa précédente réalisation (2008) : "Gare du Nord" est un "docu-fiction". Le seul défaut de Claire Simon est la longueur de ses films (à nouveau 2 h), et la relative lenteur de la mise en place. 4 personnages ici : un couple atypique (Mathilde et Ismaël), un père (Sacha, par ailleurs "people"), cherchant sa fugueuse de fille et une jeune femme (Joan) sur diplômée (bac + 8) que la crise oblige à travailler à Paris (alors que sa famille - un compagnon et 2 enfants - vit à Lille ; elle s'épuise en allers-retours). Ces 4 pivots du récit se connaissent déjà et se sont retrouvés par hasard dans la gare (les 2 femmes), ou au moins feront plus que se croiser (ainsi, Joan sera chargée par Mathilde de contacter Ismaël, et Mathilde sera aidée par Sacha lors d'une violente altercation dans une boutique), mais ce n'est pas un "film choral". C'est la vie du "village global" (selon l'expression d'Ismaël qui en a fait le sujet de sa thèse de sociologie) que représente la gare qui nous est donnée à voir, en aperçus tour à tour pittoresques, pathétiques, comiques, voire fantastiques.... sur un temps non précisé (quelques jours, quelques semaines ?). Des rencontres et des hommes (et femmes), des bonheurs et malheurs. Du petit et du grand. Toute une galerie de personnages complète, "contextualise" et met en perspective les 4 bouts de destin principaux. Et ce kaléidoscope s'ordonne rapidement, vous happe et ne vous lâche plus (certaines tonalités sont attendues, mais en général traitées avec opportunité ; d'autres sont fort originales).
2 francophones, le Belge François Damiens et la Canadienne Monia Choukri entourent Nicole Garcia (Mathilde la prof de fac) et Reda Kateb (Ismaël, le thésard). Le premier a perdu sa fille, la deuxième est en train de perdre sa famille. La sexagénaire et le trentenaire (Kateb, un poil trop âgé pour être crédible en étudiant - il a quand même 36 ans..) représentant le savoir en question, et l'amour (improbable, avec 30 ans d'écart entre les intéressés). Distribution impeccable en "ossature", et parfaite en complément, de saynète en saynète (dont certainement nombre de vrais usagers - l'oeil de la documentariste..). Intelligent et sensible : une belle réussite - à découvrir.