Les Salauds est présenté au Festival de Cannes 2013, dans le cadre de la section Un Certain Regard.
Claire Denis n’avait pas sorti de film au cinéma depuis White Material avec Isabelle Huppert en 2010. Elle vivait depuis une période de creux, n’arrivant pas à se lancer dans un nouveau projet. Il a fallu l’intervention de son ami Vincent Lindon et de Vincent Maraval pour lui forcer la main. Le producteur l’a également incitée à réaliser son long-métrage dans l’urgence. Avec l’aide de son complice Jean-Pol Fargeau, la cinéaste a écrit le scénario des Salauds en seulement un mois : "Ça, c’est tout à fait opposé à mes habitudes. L’écriture du scénario, pour moi, c’est du temps pour errer, hésiter, défaire et refaire", raconte-t-elle. Le tournage du film s’est enchaîné immédiatement après, encore une fois sous l’impulsion de Vincent Maraval. Si Claire Denis a pu d’abord se sentir quelque peu bousculée, elle reconnaît aujourd’hui qu’une telle rapidité lui a permis de ne pas douter.
Pour son nouveau long-métrage, Claire Denis s’est librement inspirée des Salauds dorment en paix du Japonais Akira Kurosawa. Encore plus que le thème de la vengeance, c’est avant tout le titre de ce film sorti en 1960 qui a encouragé la cinéaste à écrire le scénario des Salauds : "[Il] m’a redonnée du nerf et l’envie de me battre. Je suis partie de là, d’un homme solide et sûr comme Toshiro Mifune, qui dans cette série de films noirs de Kurosawa est à la fois le héros et la victime, en tout cas le jouet de forces qu’il ne maîtrise pas, qu’il ne comprend pas. Vincent Lindon a accepté d’en être ce personnage."
Claire Denis retrouve Vincent Lindon dix ans après Vendredi Soir, dans lequel il passe la nuit avec Valérie Lemercier dans sa voiture. Le tournage de ce long-métrage a été une expérience très intense pour le comédien et la réalisatrice : "Depuis Vendredi soir, on est restés liés c’est vrai : un film aussi intime, subtil j’ose le dire, ça relie ou sinon il n’y a pas eu de film du tout. (…) Cette complicité reste ancrée. Un film c’est très éphémère en matière d’amitié, mais pour les nerveux, les "à fleur de peau", ça grave l’inconscient", explique Claire Denis.
Les Salauds permet à Vincent Lindon et Chiara Mastroianni de tourner une nouvelle fois ensemble. Dans Augustine, présenté au Festival de Cannes en 2012, ils interprétaient le couple Charcot.
Les Tindersticks ont signé la bande-originale des Salauds. Le groupe de Nottingham a composé la musique de tous les films de Claire Denis depuis Nénette et Boni en 1996. Habitué à l’univers noir de la réalisatrice, le chanteur Stuart A. Staples a toutefois été quelque peu décontenancé à la lecture du scénario de son nouveau long-métrage : "Il a pris du temps avant de trouver comment se situer par rapport à lui et commencer à composer. Je lui avais dit que le film commençait dans la pluie, en lui proposant d’y faire écho avec une musique électronique, dissonante", confie Claire Denis. Fidèle à leur rituel depuis maintenant dix-sept ans, elle s’est rendue dans le studio d’enregistrement du musicien dans la Creuse, avant que lui-même vienne chez elle à Paris lui faire écouter ses morceaux.
Dés le début du film, une jeune fille totalement nue, perchée sur des talons aiguilles, erre dans les rues de Paris au milieu de la nuit. Claire Denis tenait particulièrement à cette scène et pensait déjà à l’actrice pour la jouer. La réalisatrice avait repéré Lola Creton dans Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Love et dans Après Mai d’Olivier Assayas : "J’ai eu très peur de proposer le rôle à Lola Créton. Elle m’a montré combien elle était forte, capable d’affronter ça. Avec une forme de présence sans culpabilité, en conservant la maîtrise de son corps, qui fait que le film ne la regarde pas comme une victime."
Les Salauds est le premier film que Claire Denis tourne en numérique. Elle a choisi une caméra Red Epic, déjà utilisée par son ami Leos Carax pour Holy Motors. Un tel matériel n’attirait pas la réalisatrice au départ, tant la façon de travailler est différente de ce dont elle avait l’habitude. Les rapports avec le chef opérateur sont en effet totalement modifiés : la caméra se règle comme un ordinateur et nécessite des techniciens supplémentaires. La directrice de la photographie Agnès Godard a finalement convaincu la cinéaste qui a accepté de relever le défi.
C’est la première fois que Claire Denis dirige Chiara Mastroianni. Les deux femmes se sont connues en 2011, lorsqu’elles étaient toutes les deux membres du jury du Festival de Deauville. Une rencontre particulière pour la réalisatrice : "Sans avoir forcément eu des discussions très approfondies, nous avons ressenti une connivence très forte, un accord. Un soir, Chiara m’a vue exploser comme une grenade, je veux dire sans retenue, j’ai senti qu’elle m’avait saisie au vol, j’ai laissé aller. Au retour de Deauville, on a eu envie de partager une voiture et sur le trajet, elle a décidé d’acheter un vélo à son fils qu’on a mis dans le coffre... On a eu la chance d’avoir ce temps, sans gravité, pour nous". Au moment d'écrire le scénario des Salauds, Claire Denis a pensé à Chiara Mastroianni pour incarner Raphaëlle. Un personnage supposé être l’incarnation de la féminité, ce qui est assez inédit pour l'actrice selon ses propres dires.
Claire Denis est connue pour aimer tourner avec la même équipe, et surtout les mêmes comédiens. Elle s’associe ici encore à Michel Subor, Grégoire Colin, Florence Loiret-Caille et Alex Descas. Ils ont d’ailleurs tous les quatre déjà joué ensemble dans L'intrus en 2004. La réalisatrice reconnaît entretenir une relation qui va au delà de la collaboration artistique avec ses acteurs, et en particulier avec Alex Descas : "Parfois j’ai l’impression de voir le film à travers sa présence, j’ai besoin qu’il soit d’accord avec le film", explique-t-elle.
William Faulkner est une référence importante pour Claire Denis et spécialement pour Les Salauds. Elle rapproche le personnage de Lola Creton avec celui de Temple dans "Sanctuaire" écrit en 1931. Mais la réalisatrice n’emprunte pas seulement au roman son thème (le viol) et sa violence, mais également son approche de la jeunesse : "D’habitude, ce qu’on dit aux jeunes gens c’est : "tu as toute la vie devant toi". Dans Faulkner, "toute la vie" c’est pas grand-chose, ça ne va pas être heureux et sans doute ça ne va pas durer. Et face à cela, il fait surgir des croisées de chemins, et des décisions qui engagent sans retour. Des décisions portées par le désir, et par une affirmation de soi qui peut très bien mener à la souffrance et à la mort, mais dans l’affirmation de qui on est."