Leviathan est porté par un élan écologiste : "C’est justement parce que les hommes ne se reconnaissent pas comme animaux qu’ils ont signé leur acte de mort", déclarent Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel, en rappelant à quel point les pêcheurs sont parmi les premières victimes de la politique de surconsommation : "C’est infiniment obscène, non seulement de leur tourner le dos, mais de les mettre à la tâche pour décimer les bancs de poissons quand on sait que pendant plus de cent ans les pêcheurs ont, face à toutes les nouvelles technologies (...) alarmé les gouvernements, quémandé des lois et des régulations qui auraient permis des formes de durabilité."
Comme dans "Moby Dick", le roman d'Herman Melville, Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel sont partis du port de New Bedford, anciennement capitale mondiale de la chasse à la baleine. Tous deux attachés à la mer, initiés par leurs pères respectifs (l'un architecte naval et l'autre amateur de chasse sous-marine), ils confient que le roman leur a "tenu compagnie". Lorsqu'ils ont commencé à faire le film, en 2010, leur idée était de filmer les activités liées à la pêche, depuis le port, jusqu'au jour où un capitaine de chalutier leur a proposé de participer à ses campagnes : "La rencontre avec l’océan a été si bouleversante que nous avons décidé de laisser la terre à terre", avouent-ils. Une rencontre violente et magistrale.
Pendant plusieurs mois, les deux cinéastes, Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel, sont partis en mer, six fois au total, pour des durées allant de deux à trois semaines. Des périodes pendant lesquelles ils ont appris à cohabiter avec les marins eux-mêmes, et à se faire accepter : "Ils se saisissaient des caméras sans même nous demander, comme si c’était une évidence. (...) Ils voulaient être sûrs que nous n’étions pas des salauds d’environnementalistes, des traîtres, sur leur bateau pour les mettre en scène comme les responsables du désastre écologique en train de se produire. (...) En nous voyant filmer jour et nuit, grimper au mât, allongés dans les poissons, couverts de sang, penchés par-dessus bord, en nous aidant à scier des bouts de bois pour attacher nos caméras, ils ont bien compris qu’on expérimentait sans cesse et ils se demandaient ce que nous pourrions bien faire de ces images."
Leviathan a été filmé avec des caméras GoPros (caméras habituellement fixées par les sportifs de l'extrême à leur corps pour enregistrer leurs exploits), ce qui a permis d'adopter de multiples points de vue, et d'obtenir une image épousant les mouvements de l'océan. A l'origine, les deux cinéastes avaient également apporté des caméras traditionnelles, mais ils racontent que "la mer les a miraculeusement toutes avalées, les unes après les autres". Ils considèrent que les caméras GoPros, finalement, "répondent à des critères esthétiques qui coïncident avec l’expérience [vécue] à bord. Des images qui frôlent l’abstraction, le surréalisme."
Le titre, Leviathan, évoque évidemment le monstre marin mythologique aux multiples représentations, lié souvent à l'idée de l'Enfer ou de l'Apocalypse. Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel se plaisent aussi à penser que le spectateur envisagera les différents motifs qui font que Leviathan, c'est, en fait, "Nous".
Plus de 150 heures de rushes ont été tournées au total. Les images "se sont parfois imposées par leur surréalisme abstrait, ou par leur dimension picturale", soulignent les réalisateurs. Bruegel, Goya, Bosch, Turner, sont autant de grands noms de l'histoire de l'art qui ont, selon leurs dires, "donné la sensibilité au film."
Le film a donné lieu à un projet plus grand : s'y ajoutent d'autres oeuvres, nées à partir des images tournées, qui constituent une extension, au-delà du film. "Toutes les images que nous montrons sont des images non sollicitées et découvertes durant le montage du film. Des images qui nous ont hanté, à tel point que nous avons fouillé le film, passé au crible ses 130 500 images, une à une, pour en sortir 646 images que nous appelons des Esprits. Car ce sont des apparitions dont il est question — soldats, marins, guerriers, esclaves, monstres, serpents, bêtes, squelettes, démons. Ces apparitions nous renvoient non seulement à une archéologie de l’océan, mais aussi à une archéologie de l’image", expliquent les cinéastes, Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel.
Leviathan a parcouru les plus grands festivals internationaux : la Viennale, la Berlinale, le Festival de Toronto... A la Viennale 2012, il a obtenu le Prix du Jury et, à Locarno, il a reçu le Prix FIPRESCI. Il a également été présenté au Festival international du film d'environnement de Paris, ainsi qu'au Festival Pêcheurs du monde de Lorient, où il a aussi été primé.