Piteux Pieta ( spoilers dans le texte ).
Après Amour à Cannes l'année dernière, un autre film misanthrope sur l'humiliation rafle le plus prestigieux prix d'un grand festival de cinéma. Voici donc Pieta et son Lion d'Or obtenu à Venise ( où concourait également Spring Breakers, comme le disent les frères Coen, la vie n'a aucun sens ). Depuis une dizaine d'années a surgi une vague de films sud-coréens qu'on pourrait résumer - de manière un peu schématisée, certes - à une oeuvre stylisée sur la vengeance, à la violence extrême, graphique, passionnée. Là où le scénario habile et la mise en scène inspirée d'Oldboy sauvaient le film, où le point de départ et la virtuosité de J'ai rencontré le diable donnaient un intérêt au Kim Ji-woon, quasiment tout dans Pieta contribue à l'échec du nouveau Kim Ki-duk. Son scénario mal écrit par exemple, qui empile les situations misérabilistes et mélodramatiques ( les gens que va voir Kang-do sont tous des pantins pathétiques et inconsistants ) sans faire le moindre effort dans le développement de l'intrigue. Tout est traité sans finesse, à l'image de la relation mère-fils qui voit un bloc de violence déshumanisé soudainement s'attacher à un autre personnage. Et le film ne montre pas l'évolution de sa figure centrale, pas plus qu'il ne donne la possibilité au spectateur de se l'imaginer par le biais d'un hors-champ, lieu possible d'une réflexion personnelle. Sans prendre non plus la peine d'analyser ce qui se produit sous nos yeux, se contentant de l'asséner, de l'imposer sans autre solution pour le spectateur que de subir. On pourrait alors rétorquer à cette critique que le film ne cherche pas cela, qu'il est froid et donc détaché. Sauf que décrire froidement la naissance de sentiments " nobles " n'a aucun sens et que ce parti pris sonne la mort des personnages et l'intérêt que l'on pourrait leur porter. Que la froideur imprègne la première partie de Pieta est compréhensible, mais que le film prolonge cette approche au fil de son déroulement l'est beaucoup moins.
Pieta ressemble à une ( mauvaise ) caricature du film de vengeance sud-coréen. La violence y est gratuite, et n'est motivée par rien d'autre qu'une esthétique choc qui se complaît dans son propre encrassement et dans une surenchère de mauvais goût. Le film semble constamment à la recherche du pire, les scènes malsaines ( mais vaines ) se succèdent, et l'on apprend que la Corée du Sud est un pays très sympathique où l'on passe son temps à se suicider, à gifler des gens, les mutiler, les masturber ( peu importe qu'il s'agisse de son propre fils, du moment qu'il a besoin d'affection ), violer sa mère ( le côté psychanalytique du film, raccourci très facile et degré zéro de la pensée ). Il y avait, dans les films cités plus haut, un autre rapport à la violence, qui faisait écho à la tragédie vécue par les deux personnages. Elle n'en demeurait pas soutenable pour autant ( aux deux sens du terme ), mais faisait sens. Ici, cette violence n'est qu'une démonstration de force, un jeu d'humiliation, où comme chez Haneke, l'amour n'est qu'une illusion qui masque la perversité du processus filmique et des sentiments humains. La seule bonne surprise de Pieta est une idée narrative qui s'éloigne pour le coup du film de genre : en déplaçant la vengeance du côté de la fausse mère, le film gagne enfin en subtilité après l'avoir si longtemps évitée. La machination à l'oeuvre sonne comme un refus du scénario de s'aventurer vers le terrain trop connu du déferlement de violence cathartique, qui n'a pas lieu d'être puisque Kang-do n'a à se venger de personne. Mais cette seule idée ne sauve même pas ce film grotesque et hideux, où la vengeance n'est plus un plat qui se mange froid, sinon une tambouille écoeurante sans aucune saveur.