Il y a des titres qu'il est criminel d'adapter, surtout au nom d'un pragmatisme grossier : quelle erreur d'avoir remplacé le très poétique Ain't them Bodies Saints par Les Amants du Texas, alors qu'il abstrayait avec tellement de force le Sud intemporel, l'ardeur alanguie, l'amour absoluteur... Tous ces éléments qui portent une romance quasi shakespearienne et d'une grande délicatesse.
L'indolence
Des longs cheveux raides d'une Rooney Mara filiforme à l'accent traînant d'un Casey Affleck à la voix cassée, le film n'est qu'indolence -ce qui, visiblement, a ennuyé, voire endormi la plupart des spectateurs. Son esthétique malickienne, dont la douceur champêtre et crépusculaire rappelle évidemment Les Moissons du ciel (1), chef-d'œuvre incontestable et inégalable, s'accommode pourtant à merveille de cette lenteur, sinon ne supporte qu'elle. Et puis, il fait vraiment trop chaud pour courir, même pour fuir : maybe, I say maybe, "we [could] make it if [we'd] run", but it's damn too hot ; so I'll go to jail, and one day, "I'm gonna... just walk right out the door". David Lowery prend donc le rythme du Sud sauvage -sans rivaliser avec la splendide composition de Romer et Zeitlin (2)-, prend le temps de capter la bonne lumière pour exploiter l'ombre, prend la route pour Sundance où il reçoit le Prix de la photographie : certes, il n'est pas le premier à s'être intéressé au mouvement des épis de blé au gré du vent, mais pas le plus mauvais à l'avoir projeté sur grand écran.
Le mystère
"Sir, I used to be the devil. Now I'm just a man." Bob Muldoon ne doute pas de lui ; les spectateurs, plongés dans le flou, si. Car il n'est pas évident de distinguer la réalité diégétique, elle-même difficilement déterminable, de la représentation qu'en fournit le personnage en question, indéniable beau parleur qui cultive son image de grand bandit, de chef de bande, d'homme à abattre, mais dont le discours digressif gagne en consistance au fil du récit. "[He] fucked over [his] share of people in [his] day", and they seek revenge : qui, où, quand, pourquoi et comment demeurent un mystère -sauf pour Skerritt, le père et mari de substitution interprété par Keith Carradine-, et même Bob est surpris que des types lui tombent dessus avec l'intention de lui faire la peau. En tout cas, il résulte de cette démarche discursive une asymétrie d'informations assez appréciable, à laquelle concourt également le silence de Ruth Guthrie ou de Patrick Wheeler, flic bon et sensible qu'incarne l'excellent et trop rare Ben Foster. "Lots of things were said that might not have been true", and few were said that were relevant ; de toute façon, la seule vérité réside dans le mouvement des épis de blé au gré du vent.
La responsabilité
"We always just been... you know, just two parts of the same." Coincés entre, d'une part, Roméo et Juliette, d'autre part, Pumpkin et Honey Bunny (3), les amants brigands de David Lowery forment une paire de star-crossed lovers juvéniles et infortunés : leurs sentiments réciproques sont si puissants qu'ils les absolvent, les purifient. Surtout, cet amour les perd en même temps qu'il les sauve, à travers leur enfant, Sylvie : au début du film, Bob fait le choix de se rendre à la police pour ne pas faire courir (de risque) à Ruth, qui est enceinte ; à la fin du film, Ruth fait le choix de ne pas rejoindre Bob pour ne faire courir de risque à leur fille de quatre ans. Avec elle naît la responsabilité parentale qui, contrairement à la responsabilité légale, parvient à les désolidariser
-une bonne fois pour toute, puisque lui meurt : faut-il y voir une sorte de contribution ?
1) Film de Terrence Malick.
(2) Bande originale du film Les Bêtes du Sud sauvage.
(3) Pulp Fiction, Quentin Tarantino.