Que dire de ce chef d’œuvre, de ce monument ? Le meurtre d'une petite fille, un policier, un couple d'amis. Les acteurs sont des non-professionnels, avec leurs manières, leurs lenteurs, leurs hésitations. Et il y a un canevas d'enquête policière très distendue avec en arrière-plan la vie quotidienne de certains individus : l'ouvrière, son amant chauffeur de bus, le policier, la mère du policier, le chef du policier. Mais aussi les décors, les rues, la mer, qui constituent presque des personnages à part entière en étant des constitutifs impératifs de cette enquête. Le film contient beaucoup de paysages, regardés par les protagonistes, et surtout par notre policier enquêteur, amoureux caché de Séverine Caneele. C'est un autre canevas dramatique du film : Emmanuel Schotté est attiré par Séverine Caneele. Et enfin, notre policier est aussi attiré par les odeurs, par le toucher. D'où ces étonnants moments où il caresse ou sent des suspects.
Nous comprenons pourquoi David Cronenberg et son jury ont donné les palmes d'interprétation à Emmanuel Schotté et Séverine Caneele. Ils ont beau être des acteurs amateurs, leur performance est extraordinaire.
Les personnages marchent beaucoup chez Bruno Dumont. Ils marchent beaucoup, et ils attendent beaucoup aussi. Ils font penser à ceux de Takeshi Kitano, qui marchent aussi énormément dans ses films.
Bruno Dumont n'hésite pas à monter des sexes, c'est à dire des scènes de sexe, mais aussi un sexe, celui de Séverine Caneele, ou d'une doublure, peu importe. Ainsi que celui de la petite fille assassinée. Mais il n'hésite pas à montrer un personnage en suspension, scrutateur de l'horizon (la suspension est une figure qui revient régulièrement dans les films de Bruno Dumont).
Cette humanité, ces humains simples, dont les préoccupations sont peu nombreuses, travailler, se promener, attendre, sont les éléments fondamentaux du cinéma de Bruno Dumont. Il n'est pas besoin ici d'activité extraordinaire, de super-humains, de complots complexes, pour raconter une histoire, qui n'est pas simple elle, mais d'une densité étonnante grâce à ces acteurs.