Un premier "long" en forme d'heureuse surprise. Ce n'est pas une énième et rebattue histoire de "famille recomposée", sujet d'actualité ou de société devenu "sociétal", comme on le jargonne volontiers, c'est beaucoup plus subtil et carrément très bien écrit : une histoire de famille à composer plutôt, sous l’ombre de l’ange du bizarre. Yvon Le Doze est en roue libre depuis 5 ans, quand son épouse (l'Arlésienne de service) l'a quitté pour un amant vivant en Thaïlande. Ses 2 filles qu'elle a laissées derrière elle sont élevées par Ariane leur tante paternelle et Luc le mari de celle-ci (Elise, 18 ans et Manon, 15 ans maintenant). Le récit débute au début d'une année scolaire, alors qu'Ivan commence à faire ses premiers cartons : prof de français dans un collège public parisien, il doit partir à la Toussaint rejoindre une nouvelle affectation dans un établissement privé breton près de l'ancienne maison de ses parents. Son départ annoncé pour la province, qui a tout du quasi-suicide pour un Ivan au bout du rouleau, va se trouver contrarié par deux événements considérables, autant qu'imprévus. L’infidèle fait un aller-retour éclair à Paris pour y laisser Léo, 5 ans, qu’elle a fait avec son maintenant ex-compagnon, et Emmanuelle remplace une enseignante en arts plastiques dans le collège que va quitter Yvan. Que faire de Léo : un nouveau pensionnaire pour Ariane (comme celle-ci, dévorée d’un amour maternel surdimensionné de femme stérile, et ses 2 nièces, le voudraient), ou pour Claire, la tante maternelle, elle aussi bréhaigne, quadragénaire et célibataire (et qui attend une adoption internationale) ? Quant à Emmanuelle (mère « single » de 2 jeunes enfants, de 2 géniteurs différents), attirée par les « fous », elle se demande si son coup de cœur pour Yvan ne va pas l’entraîner vers une nouvelle histoire « galère ». Le hasard des sorties fait que la même semaine sont à l’affiche deux films présentant des « quadras » ayant beaucoup de mal à être père : mais chez Pierre Jolivet, il s’agit pour Lucas d’accepter tardivement une paternité biologique dont il ne voulait pas, alors qu’ici il s’agit de devenir le père de l’enfant d’une ex et d’un autre homme ! Occurrence plus délicate encore. C’est Denis Ménochet (qui tint d’ailleurs un petit rôle chez Jolivet, dans « La très très grande entreprise »), remarqué dans de nombreuses prestations de second plan, tant à la télévision qu’au cinéma, qui « se fait tout petit » (à la fois devant Léo et sa poupée-truchement Arlette, et devant Emmanuelle). Forte présence physique (du genre à imposer respect immédiat à une classe turbulente), mais fêlures en pagaille, rugueux et pudique, cachant des trésors de sensibilité sous une carapace volontiers rébarbative : un mélange remarquable, beaucoup, vraiment beaucoup de talent. Le reste de la distribution est au même niveau emballant : côté filles, il faut louer Léa Drucker en Ariane ayant nettement perdu le fil (aliénée par les TOC) et Vanessa Paradis, délicieusement fantasque, séduite et dubitative Emmanuelle, et aussi Valérie Karsenti, la tante s’essayant en mère adoptive. Les seconds rôles masculins sont également, et bien conçus et bien campés (Laurent Capelutto/Simon, le collègue sympa mais encombrant, Laurent Lucas/Luc, le mari-rempart d’Ariane ou encore Grégory Gadebois en proviseur..). Comédie enlevée, poétique et décalée, avec un vrai ton et un grand sens de la narration : très bien, Cécilia Rouaud !