Sergio Leone est au sommet, et il est prêt à montrer aux États-Unis ce qu'est la violence de l'Ouest américain, il le fait lentement et, sacrilège, avec comme symbole le beau et gentil Henry Fonda dans un rôle d'une grande cruauté.
S'il compte arrêter le western après l'immense Le Bon, la Brute et le Truand (et effectivement, il avait déjà tout dit ou presque sur le sujet), l'Amérique lui proposa de mettre à l'épreuve son genre de prédilection, mais cette fois-ci sur les terres de l'Ouest, et repoussa ainsi son faste projet Il était une fois en Amérique. Retrouvant donc les poussières du western, il met en scène un quator de personnages à la croisée des chemins.
Trois truands face à un mystérieux homme jouant de l'harmonica, l'introduction est déjà mythique et les éléments du cinéma de Leone sont tous là. Caméra souvent braquée au plus près des visages des personnages, des détails qui ont toutes leurs importances, puis le train, la musique et le duel. La suite appartient à la postérité. Leone revisite à sa sauce le mythe du western à l'américaine, les duels, le chemin de fer, le cow-boy solitaire, le truand qui s'évade de prison ou encore un salaud de la pire espère comme méchant.
C'est une lecture bien personnelle de Leone, qui joue sur la lenteur et les mouvements de caméra, qui nous montre des personnages minés par la mort, celle qu'ils provoquent ou qu'ils subissent. L'atmosphère est certes poussiéreuse, crépusculaire aussi, avec l'avancement du chemin de fer et la fin d'une époque, mais surtout fataliste. Chaque personnage semble connaître son destin et s'apprête à l'affronter.
Cynique colle aussi bien à Il était une fois dans l'Ouest alors que le cinéaste italien joue de toutes ces légendes, et montre aussi ce qu'il considère comme une réalité trop souvent édulcorée dans la vision de l'Ouest par Hollywood. Si la violence passe bien, parfois, par les balles de révolvers, elles sont aussi dirigées par les bureaux et à des fins politiques ou d'expansion. Dans le fond (et non la forme), Frank n'est pas pire que Morton, et c'est l'évolution de l'Ouest Américain, la fin d'une époque et le capitalisme dans sa forme moderne qui atteint peu à peu la côte Pacifique.
Le nabab des chemins de fers, les paysages de l'Ouest qui subissent des transformations ou encore l'industrialisation, que ce soit en premier ou arrière-plan, de nombreux pans de l'Histoire américaine passent devant la caméra de Sergio Leone. Comme dans la trilogie du Dollars, il sublime les paysages, ici les grands espaces, les vastes plaines ou les villes en construction.
Les liens avec sa trilogie portée par Clint Eastwood ne s'arrêtent pas là, et on retrouve en partie le schéma d'Et Pour Quelques Dollars de plus. L'Harmonica reprend à la fois le costume de l'homme sans nom, mais aussi celui de Lee Van Cleef qui cherche à se venger de la mort d'un proche, avec l'harmonica remplaçant la montre. Le film bénéficie de l'extraordinaire partition d'Ennio Morricone, qui forme une parfaite alchimie avec les images et participent pleinement à l'atmosphère, faisant d'Il était une fois dans l'Ouest un véritable opéra.
Devant la caméra, Henry Fonda est surprenant et fantastique en salopard cruel et sans pitié, inoubliable avec ses yeux bleus et sa première apparition fait froid dans le dos. Face à lui, Charles Bronson est impassible en vengeur avec un cœur, cœur qui ne fait pas non plus défaut à un Jason Robards génial en Cheyenne. Claudia Cardianale, au milieu de l'horreur et d'un monde d'homme, est, elle aussi, inoubliable.
Sergio Leone retourne dans le western qu'il pensait laisser derrière lui et propose avec Il était une fois dans l'Ouest un opéra baroque marquant la fin d'un genre, il en reprend les codes et les cuisine à sa sauce, avec fatalisme, mythologie, mélancolie et cruauté.