La réalisatrice Sally Potter réunit deux des jeunes actrices les plus prometteuses du moment, Elle Fanning (Twixt) et Alice Englert (Sublimes créatures) pour interpréter les personnages principaux que sont Ginger & Rosa, adolescentes inséparables qui vont apprendre la violence du passage à l’âge adulte avec en toile fond guerre froide, poésie, révolution sexuelle et… politique.
Ginger & Rosa sont donc deux jeunes filles vivant à Londres dans les années 60. Elles sont les meilleures amies du monde et restent inséparables, au grand dam de leurs parents qui ne voient pas d’un bon œil une relation aussi fusionnelle. Entre menace d’une guerre nucléaire, éveil de la sexualité et violence sociale, l’amitié entre les deux adolescentes va être mise à mal par le dur passage à l’âge adulte.
Dieu sait si le passage à l’âge adulte peut être d’une extrême violence, à la fois physique et morale. Sally Potter nous le démontre en choisissant d’ancrer son histoire dans les années 60, précisément au moment de la crise des missiles de Cuba qui menaça de plonger le monde dans un chaos nucléaire. Avec cette toile de fond, la cinéaste dessine le portrait de deux amies qui vont apprendre bon an mal an, que le monde des adultes n’est pas fait d’arcs en ciel et de soleil. Ginger (Elle Fanning) est la rousse flamboyante, enjouée mais timide et discrète. La crise de Cuba éveille en elle des élans artistiques via l’écriture et la poésie. Révolution sexuelle oblige, un certain féminisme titille la jeune femme en devenir. Rosa (Alice Englert) quant à elle est la brune ténébreuse. Rebelle et sans cesse en contradiction avec ses parents et l’autorité, elle ne contrôle pas son corps changeant ni ses pulsions. Sanguine, elle n’hésite pas à entraîner Ginger dans des virées nocturnes là où le danger rôde. Mais petit à petit, les deux amies vont découvrir des différences qu’elles ne soupçonnaient pas. Découvrir qu’on a beau être les meilleures amies du monde durant l’enfance, l’adolescence et le passage à l’âge adulte sont des moments qui ne pardonnent pas. Petit à petit, Ginger & Rosa vont donc prendre des chemins différents et finir par en arriver à ce qui marque la plupart des personnes quand elles passent ce cap difficile, la trahison. Car au-delà d’un récit initiatique, c’est véritablement une ode mélancolique à l’enfance que livre Sally Potter, ce moment où l’innocence règne et où l’on ne connait rien des sentiments adultes et surtout pas celui, traumatisant, de la trahison de son meilleur ami. C’est cela que vit précisément Ginger, tiraillée entre ses aspirations artistiques et politiques et sa meilleure amie, qui lui échappe totalement pour devenir une étrangère à ses yeux. La violence est d’autant plus grave qu’elle est ancrée dans la réalité d’une époque, la guerre froide, où la menace d’une troisième guerre mondiale planait sans cesse au dessus de la tête du peuple. Une explosion nucléaire, c’est précisément ce qu’est en train de vivre Ginger et Rosa, une explosion intérieure, qui ne dit pas son nom, mais qui est tout aussi déchirante, celle de la fin de l’enfance et la perte de repères.
Pour camper ces deux jeunes femmes, Sally Potter a donc fait appel à Elle Fanning et Alice Englert. La première passe ici un cap et livre une prestation assez exceptionnelle, oscillant entre douceur et naïveté, force et fragilité. Petite poupée rouquine, elle porte le film et laisse sans voix à chacune de ses apparitions pour nous laisser ivres de sa personne à l’image d’une séquence finale empreinte d’une douce rage intérieure. Sa complice Alice Englert n’est pas en reste ; sa beauté rude transparaît à l’écran tel un joyau ciselé et même si son personnage paraît détestable par moments, on ne peut pas être insensible à la souffrance de cette jeune fille qui se laisse aller sans réfléchir à la découverte d’un nouveau monde, celui des adultes. Ces deux jeunes actrices jouent d’une complémentarité certaine et leur complicité à l’écran est saisissante. Les conflits et les déchirements vécus par les deux protagonistes s’inscrivent de manière rugueuse dans le cadre d’un scénario finement écrit, jamais vulgaire, empreint de nostalgie et de douceur malgré la rudesse de certaines épreuves jalonnant le parcours des adolescentes, notamment Ginger. Il convient également de souligner les performances de Christina Hendricks et d’Alessandro Nivola. Les deux acteurs interprètent les parents de Ginger avec une délicate retenue. Annette Bening, Thimothy Spall et Oliver Platt livrent également une remarquable partition, campant des personnages truculents dans des rôles secondaires touchants. Tous ces acteurs sont au service d’un scénario écrit par Sally Potter elle-même ; scénario qui livre petit à petit ses tenants et aboutissants au fil d’un récit d’une rare intensité émotionnelle. Le tout sublimé par une mise en scène habile jouant avec les gros plans de façon ingénieuse et subtile. La photographie de Robbie Ryan, entre austérité et modernité, très contrastée, contribue également à la beauté des images et à la mise en valeur de la beauté de ces deux jeunes actrices que sont Elle Fanning et Alice Englert.
Ginger & Rosa est un film brillant, diablement bien écrit, habilement mis en scène et interprété avec une force radicale et poignante par Elle Fanning et Alice Englert. Une belle petite surprise et un beau rayon de soleil en cette fin de mois de mai maussade à souhait.