Voir débarquer le potentiel premier épisode d'une saga SF adolescente, qui plus est adapté d'un succès de la littérature young adult (la trilogie "Le Chaos en marche" de Patrick Ness), sur les écrans relèverait presque de l'hérésie en 2021 tant les heures du gloire du mouvement semblent derrière lui ! Depuis que le survivant "Le Labyrinthe" a refermé ses portes avec son troisième volet en 2018, les représentants du genre -ou s'en réclamant- se sont tous invariablement plantés, ne pouvant jamais dépasser le stade d'un premier opus faute d'un engouement public et/ou critique conséquent (les cadavres de "Darkest Minds: Rébellion", "Kin: Le Commencement" ou "Artemis Fowl" sont là pour en témoigner).
Mais, en vérité, "Chaos Walking" a un historique compliqué à son actif pour expliquer son arrivée tardive : tourné en 2017, le film a connu des projections tests catastrophiques, obligeant l'équipe à repartir tourner des reshoots eux-mêmes retardés par l'engagement des acteurs Tom Holland et Daisy Ridley sur d'autres franchises célèbres. Et c'est donc ainsi que, quatre ans plus tard (!), arrive ce long-métrage hélas bien nommé à cause de sa production chaotique et ayant la difficile mission d'enthousiasmer les foules dans un registre qui ne les attire manifestement plus...
Sur une planète colonisée par les humains, les femmes ont disparu. Dans un petit village, les hommes survivent avec "Le Bruit" aka l'étrange capacité de voir leurs pensées s'évader de leurs esprits aux yeux et aux oreilles de tous. Un jour, envoyée en reconnaissance sur cette planète, une jeune femme issue de la seconde vague de colons se crashe avec son vaisseau près d'une ferme du village. Aidée d'un jeune habitant, elle tente de rentrer en contact avec les siens...
Alors "Chaos Walking" mérite-il la mauvaise répétition qui le précède ? Eh bien pas forcément, on a en effet vu bien plus inconséquent comme univers dystopique de ce genre. En premier lieu, c'est surtout la représentation de ce fameux don, le Bruit, qui fait tout le sel de la découverte de ce monde où il est difficilement possible de garder un secret pour soi. Utilisée toujours à bon escient en termes d'humour, d'émotion ou de rebondissements inattendus, cette matérialisation éphémère de pensées sous la forme d'écrans de fumée engendrera un lot de dynamiques assez inédites pour à la fois construire la relation somme toute attachante de son couple de fugitifs et créer la surprise lors de quelques confrontations.
Au-delà de cette idée sympathique, on ne peut pas dire que le périple engendré par l'arrivée du personnage de Daisy Ridley, les camps mis en place et les objectifs de chacun soient d'une originalité folle, surtout lorsque certaines révélations hélas très prévisibles mettent en lumière les limites familières de cet univers SF, mais l'ensemble tiendra malgré tout bien la route en matière de divertissement, soutenu par les archétypes solides de ses personnages bénéficiant évidemment de l'envergure d'un étonnant casting (outre Holland et Ridley, Mads Mikkelsen, Kurt Sutter, David Oyelowo, Demián Bichir, Cynthia Erivo et Nick Jonas sont également de la partie).
En fait, un des principaux problèmes de "Chaos Walking" est comme d'habitude indissociable de ce type de long-métrage pensé d'abord comme le point de depart d'une franchise, il n'est qu'un premier épisode devant avant tout présenter son univers et ses protagonistes en délivrant un minimum d'action dans le but d'accrocher les spectateurs tout en leur promettant qu'il y aura plus à l'avenir dans de potentielles suites. Comme beaucoup de ses prédécesseurs en la matière, "Chaos Walking" donne donc toujours un peu l'impression de gesticuler autour d'enjeux mineurs, seulement installés pour privilégier les fondations qu'il a à exposer et laisser le terrain aux plus grands d'entre eux dans de futurs opus (qui ne verront sans doute jamais le jour au vu des problèmes déjà rencontrés par la seule sortie de ce film). Certes, Doug Liman se montre moins maladroit que d'autres pour offrir du spectacle mais, ici, le film, que l'on sent remonté dans tous les sens possibles (surtout dans sa première partie où le personnage de Daisy Ridley donne plus l'impression de se téléporter que de se déplacer), accentue aussi ce besoin d'aller rapidement à l'essentiel, de respecter à tout prix les codes de mise en place d'une saga teen-dystopique au détriment de plus amples et surprenants développements qui lui permettraient d'affirmer une réelle identité un tant soit peu mémorable.
À l'arrivée, alors qu'on aurait pu craindre le pire à cause des bruits de couloirs dans son sillage, "Chaos Walking" s'en sort bien mieux que prévu, avec d'ailleurs l'aide du propre Bruit qui l'habite, mais, en faisant le choix de se concentrer à tout prix sur les jalons d'une franchise que l'on sait déjà mort-née, le film de Doug Liman a sans doute toutes les chances de rejoindre la longue liste des tentatives avortées et oubliées passées avant lui dans le monde impitoyable des dystopies adolescentes.