Hollywood ne s'est jamais encombrée de principes artistiques pour recycler tout ce qui dans le patrimoine cinématographique mondial peut lui laisser envisager une possibilité de gains substantiels. Ce furent d'abord les remakes, suivis par les suites puis les préquelles et autres reboots, spin-off ou crossover. L'œuvre de Ridley Scott en a fait prématurément l'expérience avec "Alien : le huitième passager" (1979) qui fera l'objet dès 1986 d'une suite très estimable avec "Alien : le retour" de James Cameron. Lui-même avec moins de succès se prêtera au jeu en 2001 en commettant une suite ("Hannibal") au fameux "Silence des agneaux" (1991) de Jonathan Demme. Curieusement "Blade Runner" sorti en 1982, film culte par excellence, adaptation osée du prétendu non transposable à l’écran : "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" de Philip K. Dick aura tenu près de quarante ans avant que la tentation soit devenue trop grande de s'attaquer à la mise en chantier d'une suite de ce chef d'œuvre incontournable. Juste après Christopher Nolan initialement envisagé à la réalisation, l'heureux élu a été Denis Villeneuve qui venait de montrer que son talent pouvait s'accorder au domaine de la science-fiction après avoir réalisé le très réussi "Premier contact" qui en plus d’avoir été un réel succès commercial avait été adoubé par l'ensemble de la critique. Par ailleurs, la complexité attendue du scénario et surtout les questions métaphysiques qu'il soulève plaident sans aucun doute pour que ce projet ambitieux mais aussi très risqué soit confié au réalisateur canadien. Ridley Scott donnant sa bénédiction et s'impliquant dans la production au même titre qu'Hamton Fancher participant à la rédaction du scénario comme sur le premier opus, "Blade Runner 2049" était alors sur les bons rails. Outre son imagerie complétement révolutionnaire qui n'a d'ailleurs pas pris une ride, le film de Ridley Scott tirait sa force des interrogations majeures qu'il posait au spectateur. Qu'en sera-t-il de ses fondements existentiels quand l'insistance de l'homme à toujours repousser les limites du progrès technologique amènera à le voir dépassé par ses propres créations ? Le vieux rêve de l'immortalité peut-il être atteint ou seulement approché par procuration via des androïdes ultra-perfectionnés ("Réplicants") auxquels auront été implantés des souvenirs humains ? Parcouru par toutes ces thématiques, le film de Ridley Scott a suscité à ce point le doute que sa légende s'est en partie construite sur le fait de savoir si le Blade Runner, Rick Deckard, joué par Harrison Ford présenté en introduction comme un humain n'était pas finalement lui-même un "Réplicant". Sur l'aspect visuel, Denis Villeneuve en adéquation parfaite avec l'humeur du moment a choisi d'assombrir nettement l'univers proposé par Scott. Los Angeles est donc devenue tout à la fois une ville morte et une décharge à ciel ouvert, symbole d'une ère pré-apocalyptique. Mais pour ne pas trahir l'œuvre séminale et ne pas heurter la susceptibilité de ses fans les plus fervents, le réalisateur très sage a pris un soin tout particulier à convoquer à intervalles réguliers certains personnages emblématiques (apparition finale d'Harrison Ford, Mariette petite sœur peroxydée de Pris jouée par Daryl Hannah en 1982, cameo d'Edward James Olmos) ou certains décors urbains parmi les plus signifiants (publicités vivantes sur les façades d'immeubles, le marché de Chinatown, le quartier général du LAPD,...). Idem pour la musique d'Hanz Zimmer et de Benjamin Wallfisch très fidèle à celle de Vangelis. Procédé habile et respectueux que certains pourront toutefois trouver trop consensuel ou trop sage, voire même opportuniste. Mais c'est surtout dans le prolongement de l'interrogation existentielle développée par Ridley Scott au-delà du suspense empruntant au film noir, que le film trouve sa justification. La proposition est cette fois-ci renversée pour amplifier encore la confusion entre l'homme et sa créature. C'est l'agent K du LAPD interprété par un Ryan Gosling marmoréen comme à ses plus beaux jours qui en vient à douter de son statut de "Réplicant" quand il fait le lien avec un souvenir d'enfance qu'il croyait implanté alors qu'il enquête sur la maternité réelle d'une "Réplicante". Homme dont l'humanité est remise en question à travers Rick Deckard, "Réplicant" ignorant sa condition avec Rachel (Sean Young) dans le premier opus et maintenant le Blade Runner se prenant à rêver d'une vraie naissance. La démonstration est faite qu'au-delà du fardeau de la mort rien n'est plus enviable que le statut d'être humain avec son cortège d'émotions. Le virtuel qui envahit le Los Angeles de 2049, même s'il a les atours de la très troublante Ana de Armas qui tient lieu de petite amie sur commande à l'agent K n'est qu'un faux nez dont l'image de synthèse elle-même souhaite s'extirper de sa condition en réclamant une forme d'autonomie avec pour perspective la mort au bout du chemin. Le film de Villeneuve comme celui de Ridley Scott tente de prévenir l'homme du risque encouru par sa soif morbide de toujours aller au-delà des limites que lui fixe la nature. Entre les deux, quarante ans se sont écoulés et personne ne s'étonnera que la vision de l'avenir développée par Denis VIlleneuve ne soit pas teintée de rose mais plutôt d'un orange-soufre. Enfin pour les amoureux d'énigmes indéchiffrables, on pourra noter qu'avec l'enfant né de l'union entre Rachel et Rick Deckard, toutes les supputations sur le statut d'humain ou de "Réplicant" des deux héros sont ouvertes. La légende de "Blade Runner" n'est donc pas prête de s'éteindre. Tant mieux !