Je n’ai pas eu l’occasion ces derniers mois de m’extasier souvent sur l’extraordinaire inventivité d’un film, sur l’exceptionnelle qualité d’un scénario, sur la fabuleuse mise en scène, sur l’exceptionnel jeu d’une nouvelle actrice, sur l’incroyable sens du rythme faisant oublier deux heures en salle, sur la merveilleuse musique, sur la tonalité si nouvelle des couleurs… Si l’on a pu faire l’an dernier tant de louanges à un si médiocre «The Artist» ou à de si insipides «Petits Mouchoirs», je n’attendais guère de miracles pour 2012 puisque désormais tout est calibré pour répondre à un cahier des charges précis qui permet de placer son offre avec le décalage suffisant permettant de la remarquer sans pour autant qu’elle diverge des contraintes politiquement correctes de l’auto-censure assurant un passage tranquille au prime time des télés. Les grimaces en noir et blanc de Dujardin ne pouvaient rivaliser avec le plus mauvais petit film d’un petit auteur du début du siècle dernier, mais les critiques encartés puis les césars et les oscars, aidés par la promo cocacolesque, ont voulu y voir un film qui osait la différence et la référence. Nul doute que le cinéaste qui va oser présenter une «œuvre» offrant de larges passages tout noirs ou tout blancs, voire composée uniquement de cela, risque d’être aussitôt encensé comme le nouveau Soulages ou Malévitch du septième art. Si l’on écarte aussi le successful Haneke qui tient absolument à faire souffrir le spectateur, les nouvelles bonderies du nouveau James poutinien (bien mieux dans «Millenium»), le suspense très soutenable d’un «Argo» et quelques films oubliés avant même qu’on soit sorti de la salle, je n’ai pas noté de séance vraiment exaltante dans les salles de cinéma cadurciennes, hormis lors de reprises de chefs-d’œuvre bien plus anciens que ces «Art & Essai» n’oublient pas. Certes le nouvel Astérix est moins mauvais que le précédent et les effets 3D renvoient bien aux effets de la bande dessinée d’origine. Mais Goscinny & Uderzo me faisaient bien plus rire avec les petits moyens d’une planche A4 en deux dimensions. Bien qu’on y sente très bien toutes les contraintes imposées pour chercher un succès dans la lignée de «l’artiste» - on récupère Bérénice et une époque définie - je n’ai pas boudé mon plaisir en allant voir «Populaire». Ce film de Régis Roinsard n’a pas lésiné sur les moyens pour replonger le spectateur dans l’ambiance de la fin des années cinquante en France et emmenant son héroïne, la très fifties Déborah François, de son village à la petite ville, avant de la propulser à Paris puis aux Etats-Unis quand elle devient une championne dans sa catégorie. Tous les sports ayant certainement été déjà abordés au cinéma, l’originalité première a été de choisir la compétition en «vitesse de frappe sur machine à écrire» et d’oser rappeler qu’au moment ou le Général revenait au pouvoir,en France, le rêve des filles de petits commerçants de province pouvait être de devenir secrétaires pour s’émanciper un peu de la tutelle invariablement paternelle puis inévitablement maritale. Même s’il y a parfois des lenteurs et trop de sucre ajouté, c’est à plus de cinq cents caractères à la minute que se construit le succès de Rose Pamphyle, d’abord en cachette de son père au bazar du village puis sous la houlette d’un patron devenu entraîneur (l’improbable Romain DURIS finit par devenir crédible et touchant en survivant culpabilisant d’une guerre pas si lointaine). La reconstitution est impeccable dès le générique - choix des couleurs et des lettrages - et, pour une fois dans un film français, il n’y a pas que quelques voitures d’époque qui passent et repassent devant la caméra. C’est déjà dans ce soin du détail - la jupe plissée des filles, sous laquelle au moins Souchon et moi aimions tant voir, ou la pendule de la cuisine - que le film gagne le spectateur, du moins s’il a plus de cinquante ans et que tout ce qui est ainsi exposé éveille en lui bien des souvenirs. Bien entendu la bande-son peut piocher dans la richesse des premiers rocks (dont le célèbre «Dactylo Rock» des Chaussettes Noires renvoie à la présence furtive d’Eddy Mitchell en père conformiste de la haute époque) ou rappeler les cha-cha-cha endiablés que lançaient les orchestres riches en cuivres. Nul doute que certains verront ici la même mièvrerie que celle qu’ils reprochaient à Amélie Poulain. Pour ma part, j’y vois surtout une belle tentative de renouer avec le genre sans prétention de la comédie à l’eau de rose - moins de poésie qu’avec Amélie, moins de chansons que chez Demy - avec un happy end évident pour que le spectateur sorte en souriant sans avoir souffert au moins autant qu’aux images du JT. Une fois de plus ce ne sera pas le film du siècle, mais il serait peut-être bon qu’une fois de temps en temps nos si chers martiens de la politique se demandent pourquoi «les gens» aiment bien aller voir de gentils Ch’tis, de sympathiques Intouchables ou une Rose si populaire. N’en auraient-ils pas tellement marre de subir ces incapables et prétentieux oiseaux de mauvaises augures seulement soucieux de se maintenir sur leurs perchoirs et manquant tellement des vertus et de la morale que ces petits films à succès - je le souhaite à Populaire» - leur présentent, maladresses et sucreries admises.