Aucune nécessité d’essayer de convaincre quiconque d’aller voir ce « Song to song » lorsqu’on n’apprécie pas/plus le travail du réalisateur depuis quelques films.
Depuis « La Ligne rouge », le cinéma de Terrence Malick a ouvert une nouvelle parenthèse (bientôt close ?) moins mainstream (cela a embêté un bon paquet de suiveurs de la première heure), plus métaphysique, et pied de nez intégral à qui veut découvrir du cinéma formaté et prédigéré, du coup, beaucoup sont restés sur le bord de la route. Alors certains diront toujours que le nombrilisme affleure de plus en plus à chaque film, là où nous préfèrerons y voir un vrai cinéaste comme il s’en fait de moins en moins, intègre, et qui, subjectivement certes, a toujours quelque chose à raconter et surtout faire ressentir. Dès lors, depuis « The New World » on aime ou on déteste le cinéma de Malick ; et c’est tant mieux.
Tant mieux parce que sa liberté acquise cinématographiquement reste intacte, un cinéma du/des sens, ou rien ne ressemble à la réalité et où la poésie visuelle et verbale sont maître mot d’un cinéma sensitif. Car si tout tourne encore et toujours autour de l’amour chez Malick depuis quelques films, c’est sous la forme vectorielle d’un lyrisme profond et ancré, où se superpose le talent des comédiens venus plonger dans l’univers « malickien ». Forcément le résultat est différent de toutes attentes, loin d’être formaté et de ce qu’on a l’habitude de voir.
« Song to song » acquiert cependant un stade encore plus surprenant dans le cinéma de Malick, c’est dans son dernier film qu’on ressent le plus la part d’improvisation des comédiens, nombreuses scènes sont ainsi faites d’un réalisme appuyé, là où le jeu et la direction d’acteurs côtoie l’instantané, l’unique moment capté, cela se sent clairement. C’est très intéressant quand le trio Gosling, Mara, Fassbender jouent ensemble. Tout comme la surprenante utilisation de la caméra subjective, toute mesurée (sur certains plans), cette notion d’impressionnisme intérieur ne donne pas la sensation d’aller jusqu’au bout de son intention première ; beau procédé quand il l’utilise, idée d’être « dans » et « hors » du personnage. On retrouve bien évidemment une cargaison de plans naturalistes, où la lumière est l’enjeu premier de l’instant filmé, avant même l’intérêt du cadre, et tout virevolte autour des personnages, du Malick pur et dur en quelque sorte.
Et quelle belle idée de mélanger des plans d’un festival rock au Texas, comme ceux de boîtes de nuit, à ceux plus intimes où les amants évoluent et vivent toujours en dehors de toute trace de civilisation, ou alors réduite à son minimum (personne dans les rues, juste deux trois protagonistes quand c’est nécessaire sur d’autres scènes). Cette opposition de lieux mélangée au flashbacks et multiples histoires sentimentales fournissent alors un patchwork beaucoup plus intéressant et fin que ce que « Knight of cups » était, comme-ci l’un était le ying blanc et l’autre le yang noir d’un tout, un tout qui selon Malick sont les chemins que peuvent prendre des relations amoureuses.
Cette fois, fort d’un bande son étonnante et éclectique, d’un casting étoilé (comme toujours), et, musical (Patti Smith, Flea (& RHCP), Lyyke Li, Johnny Rotten, Iggy Pop…) le tout prend des allures de douce ballade rock autant dans son esprit (l’histoire) que dans ce que les personnages sont. Les dialogues, plus poétiques que qu’authentiques (personne n’échange comme ça de nos jours) aussi bien opposés qu’en adéquation à la « lumière » d’un décorum toujours naturel, font partie intégrante de la réussite du film. Pour accepter cela il faut s’accorder le droit de découvrir une autre forme de cinéma. Si le cinéma de Malick n’est pas évident sur le coup, une fois imprégné de ce dernier, le rêve et la poésie visuelle et narrative sont au rendez-vous, nous faisant plonger dans un profond hédonisme aussi bien artistique que personnel. Comme ses personnages, le cinéma de Terrence Malick erre encore et toujours dans son unique formalité, pour le plaisir du spectateur qui cherche à s’évader. Plaisir des sens.