Considéré pendant longtemps comme un cinéaste rare ne tournant que très peu, Terrence Malick semble vouloir rattraper le temps perdu et, depuis 2011, date de la sortie de « The Tree of Life », palme d'or à Cannes cette année-là, il enchaîne les films. En outre, il le fait en usant d'un style renouvelé qui a déçu certains de ses admirateurs tout autant qu'il en a enchanté d'autres et en ressassant les mêmes thèmes ou les mêmes obsessions. Du coup, bien sûr, certains critiques lui reprochent de ne plus servir et resservir qu'une recette identique et de moins en moins alléchante. Ce n'est pas mon sentiment. Terrence Malick ne fait pas autre chose que ce qu'ont fait beaucoup de créateurs, et parmi les plus grands, avant lui, en ruminant, d'oeuvre en œuvre, les mêmes idées, les mêmes hantises, et il le fait avec un talent qui ne faiblit pas.
« Song to Song » peut donc être perçu comme une variation sur un sujet que le réalisateur a déjà exploré et mis en scène dans ses deux films de fiction précédents, « A la Merveille » (2012) et « Knight of Cups » (2015). A nouveau, Terrence Malick se focalise sur une histoire d'attirance amoureuse et de déchirures chez quelques protagonistes, mais on ne peut pas prétendre qu'il ne se renouvelle pas du tout, car il aborde ce sujet de manière nettement plus narrative et peut-être un peu moins poétique que dans les deux opus précédents. Et il le fait dans un environnement singulier, celui de la scène musicale d'Austin dans le Texas. Le chassé-croisé amoureux se noue et se dénoue entre quatre personnages : un producteur de musique (Michael Fassbender), des musiciens et chanteurs (Rooney Mara et Ryan Gossling) et une serveuse (Natalie Portman).
En vérité, le récit importe assez peu. Ce qui intéresse le réalisateur, c'est de mettre en scène la recherche existentielle de personnages à la fois étourdis par le monde du divertissement dans lequel ils baignent, tourmentés par leurs passions et obsédés par une inlassable quête d'autre chose, de ce qu'on ne sait pas très bien nommer, de ce qui donne un sens à la vie et révèle chaque être à lui-même. Pour y parvenir, Terrence Malick reste un maître hors pair. Sa science du découpage et du montage est stupéfiante. Chaque plan, ou presque, ressemble à un joyau ciselé par un orfèvre. Même la bande-son surprend par sa beauté et son inattendu : étant donné le cadre dans lequel se déroule le film, on pouvait parier qu'elle se composerait essentiellement de morceaux de rock, mais ce n'est pas le cas. Si Iggy Popp et Patti Smith sont réellement présents dans certaines scènes, on n'en entend pas moins davantage de morceaux de musique dite classique (Malher et Saint-Saëns parmi d'autres) que de rock.
Cela étant dit, le projet du cinéaste n'est bien évidemment pas de réaliser un film purement esthétique, le plus important restant la quête de sens qui hante les personnages de ses œuvres les plus récentes. Celle-ci est sous-jacente à tout le long-métrage, tout en apparaissant plus nettement lors de certaines scènes (celles qui sont filmées dans des églises par exemple). On peut dire aussi que cette recherche trouve enfin sinon une réponse, en tout cas un point de lumière ou, si l'on préfère, une piste.
Dans « Knight of Cups », le cinéaste racontait l'histoire d'une perle précieuse qui était perdue et qu'il fallait retrouver. Eh bien, c'est peut-être Patti Smith qui, au moyen d'une de ses chansons, indique, à la fin de « Song to Song », ce qu'est cette perle égarée. Elle a pour noms miséricorde et amour. Rooney Mara l'affirme, jusque là la miséricorde n'était pour elle rien de plus qu'un mot. Et voilà qu'elle découvre que c'est ce dont elle a le plus besoin. Quant à l'amour, Terrence Malick le filme comme personne : quand ses personnages échangent des gestes de tendresse, des caresses ou des étreintes, c'est comme s'ils étaient à chaque fois réinventés, c'est comme si on les voyait pour la première fois
. Le cinéma de Terrence Malick est non seulement beau, mais il est porteur de questionnements et d'une recherche de sens qui nous intéresse tous ! Je ne m'en lasse pas. 8,5/10