Avec Song to Song, Terrence Malick retrouve peut-être la grâce et le génie qui l'avaient porté lors de The Tree of Life, un chef-d'oeuvre magistral. Si Song to Song n'atteint pas ce stade, il nous permet néanmoins de retrouver le réalisateur américain qui nous avait laissés avec la Palme d'Or du Festival de Cannes 2011 et non celui qui s'était perdu lors de ses deux derniers longs-métrages.
Et en effet, les fans de Malick avaient été nombreux à être déçus de A la Merveille et de Knight of Cups, deux films qui ne réussissaient jamais à décoller et dont l'interprétation des acteurs n'était pas toujours convaincante, en témoigne les performances très décevantes de Ben Affleck et Christian Bale. Dans Song to Song, nous retrouvons un casting 5 étoiles auquel nous sommes désormais habitués, tant l'aura de Malick ne laisse pas indifférent à Hollywood. Et quel casting ! C'est sans doute l'une des meilleures performances d'acteurs dans un film malickien depuis The Tree of Life. Le trio que forment Rooney Mara, Ryan Gosling et Michael Fassbender, trois acteurs très en vue actuellement, est d'une complémentarité folle. Fassbender (Cook) détonne par sa folie qui le caractérise sur de nombreuses scènes, déployant une énergie folle, là où Gosling (BV) contraste avec son calme. Et entre les deux, Rooney Mara (Faye), parfaite en jeune femme tiraillée entre Cook et BV, irradie de son talent un film qu'elle électrise. En revanche, si elle s'avère hautement utile pour l'écriture et la fin du personnage de Cook, Natalie Portman, dans le rôle de Rhonda, ne laisse cependant pas un souvenir impérissable, elle n'existe réellement que par la fin que lui accorde le film. Cette fin est par ailleurs très fine, très sensuelle, naturelle, là où les réalités de la vie l'emporte sur les illusions de l'amour. Elle vient clôturer un ensemble plutôt inégal avec une première heure douce et poétique et une seconde heure où le spectateur décroche légèrement, dépassé par un rythme plus saccadé, avant que la fin ne relève le tout par son goût d'inachevé, par cet amour qui ne trouve pas toujours le bonheur. L'amour est une composante très importante des trois derniers films de Malick, presque une trilogie philosophique dont la parenthèse se referme avec Song to Song.
La méthode est désormais connue de tous, cette caméra constamment en mouvement, ce montage volontairement non fluide et ne suivant jamais un scénario essayant de capter les instants de vie et d'être réaliste au possible et aussi libre que les codes du réalisateur américain, la photographie toujours impeccable de Lubeszki et les voix-off, moins présentes néanmoins sur ce film. Finalement, l'enjeu était de savoir ce que Malick avait à dire après deux réflexions plutôt passables. Dans le monde musical d'Austin, ce dernier tente de reprendre les thèmes de Knight of Cups surtout, plus que de A la Merveille, à savoir un plan divisé en deux, une réflexion sur deux parties d'un seul plan: d'un côté la vie professionnelle, de l'autre la vie privée. Encore une fois, la vie professionnelle fonctionne et la vie privée déraille à cause de l'amour. Sur les trois dernières œuvres de Malick (sans compter Voyage of Time), c'est cette instabilité amoureuse qui caractérise ses personnages. Divorcés, veufs, célibataires, amoureux, en couple: les différentes phases de la vie amoureuse sont représentées et ici, dans Song to Song, la fragilité de Rooney Mara, parfaitement capté par le sens de la réalisation de Terrence Malick, est expliquée par le tiraillement amoureux de celle-ci: elle cherche à la fois de la stabilité et de la réussite, tentant même de tester sa sexualité. La prospérité d'une vie professionnelle ne semble pas pouvoir se passer de la prospérité d'une vie privée. Si la seconde est brouillée, brisée et décousue, la première prend la pente descendante. C'est ce que l'on peut constater avec le personnage de Cook.
La nouveauté qu'insère ici Malick, c'est la musique, qui n'a jamais été aussi présente. Par rapport à un film s'intéressant au monde de l'industrie de la musique, cela n'a rien d'illogique. Mais c'est cette musique qui apporte un renouveau à l'oeuvre de Malick et une touche de sensibilité au long-métrage. Elle est présente sous toutes ses formes et l'utilisation de la musique classique, à travers un voyage, aussi léger soit-il, dans certaines œuvres de Saint-Saëns, Debussy et Ravel notamment, n'est pas sans rappeler le goût de Kubrick pour cette même musique classique qu'il préférait par rapport aux compositeurs contemporains. Mais comment ne pas évoquer aussi les participations de Patti Smith et Lykke Li qui sont d'importants seconds rôles, la première pour Rooney Mara, la seconde pour Ryan Gosling, et dont les deux morceaux utilisés dans le film ont un écho particulier et intéressant.
Ainsi, vous l'aurez compris, ce film n'est pas parfait, il a ses défauts, mais il apporte une satisfaction, celle de la présence toujours actuelle du génie Terrence Malick. Néanmoins, on est loin de The Tree of Life, apogée absolue de son oeuvre, et nous aurions tendance à dire que le déclin du génie est entamé bien que celui-ci, à 73 ans, résiste. Son prochain film,Radegund, sur l'objecteur de conscience Franz Jägerstätter, nous permettra d'en savoir plus sur ce déclin réel ou non de Terrence Malick.