Un film sur le sujet de la laïcité s'imposait donc, pour Nadia El Fani, comme quelque chose d'évident, notamment par rapport aux évènements suivants :
- Une France chamboulée par l'émergence d'un Islam politique qui se heurte à la laïcité, avec une nouvelle loi sur le voile qui a réveillé "la menace islamiste" (selon l'expression du Ministère de l'Intérieur).
- Les Etats-Unis qui continuent de faire planer le spectre d'une guerre des religions.
- Les immigrés qui ne sont toujours pas les bienvenus, et leurs enfants semblent être pris au piège de la question identitaire.
Laïcité, Inch'Allah ! était présent au Festival de Cannes le 18 Mai 2011, après avoir fait la clôture de Doc à Tunis le 24 Avril. A ce moment-là, le film s'intitulait encore Ni Allah, ni maître !
Le film a obtenu mercredi le prix international de la laïcité par le Comité Laïcité République, fondé en 1991 : "Je suis ravie d’avoir reçu ce prix honorifique et j’espère que ça va servir à faire parler du film", commente la réalisatrice tunisienne. Parmi les personnalités précédemment récompensées : Isabelle Adjani, pour son rôle dans La Journée de la jupe et Marjane Satrapi, pour la réalisation de Persepolis.
Pour Nadia El Fani, toute allusion ou évocation d'un refus de l'autorité de Dieu est un tabou en terre d'Islam : "Même chez les communistes la règle était respectée ! Tant il est vrai, que ceux qui osent se déclarer athées, le font au péril de leur vie pour certains, au risque de connaître la prison pour d'autres, et en tout état de cause sont mis au banc de leur société s'ils osent l'exprimer publiquement... Ma décision était prise, j'allais être de ceux-là, pire… de celles-là !"
La réalisatrice se rend compte que le thème de l'identité est récurrent dans ses films. Quelle est l'identité du monde arabe au sein du monde moderne ? Nadia El Fani pense que c'est son appartenance à la fois française et tunisienne qui la pousse à s'intéresser à ce sujet et, surtout, à vouloir combattre les idées reçues. Le philosophe Edward Saïd explique : "Si nous devons tous vivre – c’est notre impératif – nous devons captiver l’imaginaire non pas seulement de nos peuples, mais celui de nos oppresseurs. Et, nous devons demeurer fidèles à des valeurs démocratiques et humanistes."
Nadia El Fani a décidé de se mettre elle-même en scène dans son documentaire comme spect-actrice, dans le but d'être présente politiquement en tant que citoyenne, et de défendre le concept de laïcité par rapport à cette idée d'un Islam moderne. Elle considère qu'une vraie révolution n'existera que si le peuple opte pour une constitution laïque.
Nadia El Fani s'est inspirée des révolutions arabes pour peindre le monde de l'activisme laïque avant et après la chute du président Ben Ali. A cause de cela, la réalisatrice s'est vue menacée de mort de nombreuses fois dans son pays. Une centaine de salafistes étaient entrés en force au cinéma Africart du centre de Tunis, en cassant les portes de verre et en blessant plusieurs personnes pour empêcher la projection du film. Ce dernier a été projeté avec une heure de retard, le temps de stopper les manifestants. La police s'est ensuite déployée aux alentours de la salle pour sécuriser la projection.